À partir d’une fête ancestrale, Tiago Guedes déploie dans Traces une tragédie qui dénonce la maladie du virilisme.

Il y avait un moment que nous n’avions plus de bonnes nouvelles de Paulo Branco, le grand producteur portugais qui avait ourdi tant de beaux films de Raoul Ruiz, Manoel de Oliveira ou Joao Cesar Monteiro. Le revoilà donc, produisant le film d’un certain Tiago Guedes. De Guedes, on avait vu la minisérie Le Domaine et avec Traces, il signe une tragédie contemporaine située dans un village du Portugal. Le film s’ancre dans la fête du vent, un rite initiatique païen local où l’on apprend aux garçons ados à devenir des hommes – traduction de « devenir des hommes » : se déguiser avec des masques tribaux, boire des coups cul sec, agresser les filles, et éventuellement se tabasser entre eux. Le film s’ouvre sur un de ces bizutages ancestraux et virilistes, puis se déploie vingt-cinq ans plus tard : les ados bagarreurs et les filles pourchassées sont devenus adultes, parfois mariés entre eux. La fête existe encore mais le rite a été abandonné : aujourd’hui, on boit des coups tranquillement et danse sagement aux sons de l’orchestre local. Mais comme l’indique le titre du film, des siècles de rituels et de culture transmis de génération en génération, cela laisse des traces. Dommages psychiques et corporels sur un des hommes jadis roué de coups, reproduction du virilisme débile de père en fils, collaboration plus ou moins assumée des femmes à ce système ancestral qui cimente la société villageoise. L’homme qui fut autrefois victime vit désormais à l’écart du village, seul avec ses chiens. Il est marginal mais semble doux, innocent, alors que les villageois s’en méfient, eux qui se sont comportés jadis comme des chiens. La jeune femme agressée jadis est désormais mère d’une ado : cette dernière serait-elle capable d’arrêter le cycle mortifère de la reproduction patriarcale ? Puis la fête est brutalement stoppée : le fils du potentat local a été retrouvé mort au bord d’une route.

Guedes prend son temps pour déployer tous les ressorts et les rouages d’une tragédie en cours, fait circuler symboles et métaphores (les masques, les chiens, le vent qui fait tourner les éoliennes et parfois les têtes, les visages souvent enserrés dans le cadre d’une fenêtre…), saisit la beauté des aubes, des crépuscules et des nuits dans les montagnes âpres et reculées du Portugal, ordonne la montée des affects en les mijotant à feu doux. Sa mise en scène est classique mais intense, fiévreuse (on pense parfois à La Poursuite impitoyable d’Arthur Penn), parfaitement servie par un casting impeccable (Nuno Lopes, Albano Jeronimo, Isabel Abreu…). Pour Guedes, ce village représente-t-il l’ensemble du Portugal ? C’est bien possible. Il semble dire que si les traditions cimentent une société, elles sont aussi ce qui la fige et l’empêche d’évoluer. Traces, beau film sombre mais lucide.

Traces de Tiago Guedes avec Albano Jeronimo, Isabel Abreu, Nuno Lopes… Alfama Films, sortie le 8 février.

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