À Chaillot, Pascal Rambert présente 3 annonciations, un triptyque où se conjuguent à travers les voix de trois femmes prophètes, les maux d’hier, les atermoiements d’aujourd’hui et les inquiétudes de demain.
Envoûté par les œuvres du quattrocento italien (re)découvertes à Venise lors de la Biennale, Pascal Rambert fait un pas de côté, s’éloigne le temps d’un impromptu allégorique de ses dernières œuvres très ancrées dans les souffrances intimes, et imagine trois performances qui défient le temps et l’espace. S’inspirant comme à son habitude des personnalités de ses comédiennes, il tisse des sortes d’oracles qui questionnent l’état du monde à travers les âges. Passé, présent et futur s’invitent au plateau et donnent à sentir les tourments et les luttes des femmes, des mères, des amantes, des survivantes. Tour à tour ange déchu, vierge plus humaine que sainte ou spationaute se libérant de sa combinaison aseptisée pour enfin se confronter au réel, Silvia Costa, Bárbara Lennie et Audrey Bonnet habitent le plateau et donnent chair à la prose du dramaturge.
Empruntant leur mysticisme à Roméo Castellucci, longtemps associé au projet avant de déclarer forfait, chacune de ces prophétesses prend possession du plateau dans l’obscurité. En Italienne, la toute première, créature tombée du ciel, ou sortie des entrailles de la terre, plasmodie quelques mots incantatoires, reprend son souffle avant d’entamer sa douce litanie. Le ton est sombre, la sonorité chantante. Traduite en lettres blanches, illuminant les cintres rougis par les lumières d’Yves Godin, cette prophétesse aux allures d’ange semble sortie tout droit d’un tableau de Fra Angelico avec son long manteau écarlate et ses ailes dorées. Disparaissant dans les limbes, elle laisse la place à une madone espagnole qui évoque les maux des femmes, les violences subies. Après un dernier regard, cette pythie des temps modernes laisse tomber son armure. Nue, elle s’efface et donne la parole à Audrey Bonnet. Portant une combinaison spatiale, cette enfant du XXe siècle, porte en elle le siècle suivant et fait entendre les blessures, les cris, les non-dits trop longtemps tus des femmes d’aujourd’hui et de demain.
Halos de lumière rouge, jaune ou bleu, fumigènes laiteux rappelant les encens de myrte brûlés durant les offices religieux, enveloppent d’un nuage ouaté ces trois monologues extatiques qui mettent en lumière les drames d’hier et annoncent ceux à venir. Saisi par la puissance poétique qui se dégage tant de la langue rambertienne, que par la présence tantôt spirituelle tantôt humaine des comédiennes, le public exsangue ne sait plus à quel saint se vouer. Rêve cauchemardesque ou mauvais augure, 3 annonciations touchent aux convictions intimes. À chacun d’y croire ou non !
3 annonciations de Pascal Rambert. Chaillot – Théâtre national de la Danse, Du 1er au 4 février.