Grégory Le Floch, Prix Décembre 2020, signe un roman éblouissant, Gloria, Gloria, hymne à la vieillesse et promesse de l’aube. 

C’est le secret le mieux gardé de l’humanité :  à quel plaisir sexuel peut accéder un corps vieillissant ? Grégory Le Floch ne perd pas son temps, et à trente-six ans, en fait l’obsession centrale de son troisième roman. Peut-être faut-il être jeune pour sonder de manière si profonde la vieillesse, le délabrement, et ses lumières. Car Gloria, Gloria, se révèle une Appassionata de la fin de vie. De la possibilité d’être vivant jusqu’au dernier instant, et ce avec l’énergie démesurée d’un écrivain virtuose qui glisse du roman à la poésie, de la statistique à l’hagiographie, sans s’épuiser. Nous le savions depuis De parcourir le monde et y rôder, Le Floch excelle dans le grotesque, mais ici, il révèle un nouveau pan de son écriture, l’humanité.  Car les personnages qu’il nous fait découvrir sont aussi délaissés, qu’assoiffés de rencontres, qu’elles soient vivantes ou mystiques. Et chacun y parvient, à l’instant où l’on ne croit plus au destin, quelques années avant de mourir. Tentons de résumer l’intrigue : nous sommes sur l’île d’Elbe. Une jeune femme part sur les traces de son grand-père qui s’est enfui ici après-guerre, quittant Rome, pour s’installer dans une grotte, et y finir sa vie. Il a laissé un journal qui peu à peu nous révèle les raisons de son étrange choix de vie. 

Nous découvrons qu’il fut le bon samaritain des vieilles personnes : « Je suis le gardien des vieux de Rome. C’est moi qui les égaye, qui les honore, qui les maintiens en vie. C’est moi qui chaque jour ou presque leur fais encore l’amour. Rares sont ceux qui peuvent en dire autant ». Tenant une ligne d’ironie qu’il ne lâche jamais, Le Floch exhibe une langue jouissive lorsqu’il s’agit de raconter l’acte d’amour entre le jeune narrateur et sa, très, vieille maîtresse : « Je la déshabillai. Sa blouse glissa le long de son corps peaussu et je vis tout à la fois ses cuisses variqueuses, ses fesses fendues par les escarres et le délicieux marbre bleu de ses seins ». Et cette phrase, un peu plus loin, « Carmela avait l’aspect sensuel de la pierre mouillée ». Bref, de quoi rêver, ou se préparer au second amant, Marcello, handicapé jusqu’à la taille…

Le Floch étire sa passion des corps à demi-morts jusqu’au paysage d’Elbe, et plus précisément à la grotte, qui devient peu à peu le personnage central du livre.  C’est la terra incognita de la sexualité du vieil âge. Un lieu lumineux, baroque ou sordide, c’est selon, où se succèdent hommes et femmes en mal d’amour. Il cite Fellini, et il n’y a pas de doute que ce livre se cherche aussi dans les sous-sols mythiques de Roma. Mais la grotte est aussi lieu de retranchements pour les saints, Saint Antoine est convoqué, pour les stylites, Siméon apparaît à son tour, ou pour les vers, qui tiennent un beau rôle dans cette histoire. La grotte, donc, dans toute sa symbiose, prend d’ailleurs la parole. On vous l’a dit, Le Floch ne s’interdit rien. Mais pourquoi, et comment, un homme abandonne-t-il son existence pour s’installer dans une grotte ? Parce que le vieillissement, nous murmure l’écrivain, est une grotte dans laquelle on prend congé des vivants. Et dans cet ermitage contraint, le désir pourrait avoir sa place. La proposition est scandaleuse et lumineuse.  

 Un dernier vers à attraper, « la vieillesse est une aube/ qui monte sur le monde ». Oui, l’écrivain nous promet cela, et il l’écrit si justement, que l’on ose le croire. 

Gloria, Gloria, Grégory Le Floch, éditions Christian Bourgois, 216p., 19€