Emmanuel Demarcy-Mota s’empare avec finesse de La Grande Magie, célèbre pièce du très pirandellien Eduardo De Filippo, en y imprimant sa marque.

Emmanuel Demarcy-Mota réinvente La Grande Magie, à sa manière. Tout d’abord, en inversant les genres et confiant à son actrice de prédilection, l’inimitable Valérie Dashwood, le rôle principal de Calogero, devenant Calogera et inversant le jeu premier imaginé par De Fillippo. Tout commence dans un hôtel, en bord de mer, où chaque été un couple devient l’attraction de la saison. Dans une atmosphère oisive, aux couleurs acidulées, la bonne société italienne s’observe. Parmi cette comédie humaine pleine de sarcasmes et d’hypocrisies, Calogera donc, femme jalouse qui ne se « fait jamais d’illusion ». Un jour, son époux qui bien sûr a une liaison, profite du tour de magie réalisé par le magicien Otto Marvuglia (Serge Maggiani parfait pour ce rôle d’illusionniste vieillissant semblant sorti des Géants de la Montagne de Pirandello), pour s’enfuir avec sa maîtresse. Sommé de le faire revenir, à moitié pour s’en sortir et à moitié par pitié, le magicien fait croire à Calogera que cette absence n’est qu’une illusion, et qu’il suffit de croire en la fidélité de l’être aimé pour qu’il revienne. Le temps passe. Jusqu’où les mensonges peuvent-ils conduire ? Une force du théâtre n’est-elle pas aussi de faire croire à l’incroyable ? La Grande Magie, c’est aussi une galerie de personnages attachants : Zaira, la femme volage du magicien (drolatique Sandra Faure), une jeune fille au cœur fragile, les assistants un peu paumés du magicien. Pour sa mise en scène, dont la fantastique scénographie prend son ampleur dans la seconde partie de la pièce, Emmanuel Demarcy-Mota marche sur un fil. Entre magie et réalité, entre métathéâtre et action in medias res, il s’empare comme son magicien des outils du théâtre et de la magie. En confiant les rôles principaux aux deux meilleurs comédiens de sa troupe, Emmanuel Demarcy-Mota ne prend pas de risques. Serge Maggiani aime l’étrangeté. Il jouait encore Proctor dans les Sorcières de Salem, par le même Demarcy-Mota. Ici en haut-de-forme et veste à paillettes, le regard pénétrant, il excelle à jouer à la fois cet artificier génial, manipulateur, et un homme sur le déclin, acculé par les dettes, que son chant du cygne peu reluisant incite peut-être à se jeter dans cette dernière histoire… Quant à Valérie Dashwood, en robe du soir ou en imperméable crème, elle campe une captivante Calogera di Spelta, naïve, lucide ou aux portes de la folie… À moins qu’elle ne la simule, la portant comme un masque pour supporter la réalité… L’un des thèmes de La Grande Magies’avère le pouvoir de l’acteur. Emmanuel Demarcy-Mota, metteur en scène de Pirandello dont Eduardo De Filippo s’est tant inspiré (comment ne pas songer aux Six personnages en quête d’auteur et bien sûr à Henri IV face à la comédie jouée par Otto Marvuglia et sa troupe, des années durant à Calogera pour l’entretenir dans sa folie ?) l’a compris. Son maître des illusions nous interroge moins sur nos mœurs que sur nos jeux de rôles et sur les forces de l’esprit. 

La Grande Magie, mise en scène par Emmanuel Demarcy-Mota au Théâtre de la Ville ( Espace Cardin) jusqu’au 8 janvier.