Avec ce goût de l’insolence et du sordide qu’on lui connait, l’autrichien Ulrich Seidl porte un regard lucide sur la génération des « boomers ». 

Rimini, Rimini, cité de Fellini ! Avec ses plages sablonneuses de l’Adriatique, ses vestiges mais aussi ses tours de béton, la ville où fut tourné Amarcord fut l’un des symboles dans les années soixante du « boom » économique que décrivirent avec un humour précieux parce que corrosif les réalisateurs de « la comédie à l’italienne ». Plus d’un demi-siècle après, Ulrich Seidl croque avec la même verve lucide et intransigeante ce que sont devenus Rimini et les « boomers ». Pour y parvenir, Seidl choisit d’y apporter une touche « autrichienne », plus cruelle, plus distante. Au lieu de camper son action dans Rimini en été, il préfère nous la dépeindre en hiver afin de mieux nous la montrer par effet miroir. Sous un ciel maussade ou neigeux, Rimini a perdu toute sa superbe. Peu de touristes s’y risquent à l’exception de quelques vieillards européens échappés de l’EHPAD, aussi décatis que les hôtels où ils séjournent. À quoi ressemble Rimini ainsi dénudée sinon à un immense casino décrépi devant lequel végètent des migrants dont personne ne se préoccupe. En filmant en plans larges et fixes ses rues, ses plages privées et ses hôtels vides, Seidl montre combien ces lieux aseptisés ont enlaidi la cité antique. C’est pourtant dans un de ces bâtiments que chaque soir officie le Prince de Rimini en hiver, l’incroyable Richie Bravo, vieux chanteur de charme à catogan, dissimulant sa bedaine sous une gabardine en peau de phoque. Gigolo alcoolique abonné aux vieilles groupies, raciste comme son nazi de père, endetté jusqu’à la moelle, sentimentalement puérile, Bravo incarne de façon spectaculaire tout ce que Seidl semble reprocher à la génération de son pays née dans l’après-guerre. Mais si la critique générationnelle fait mouche, et si Bravo s’avère un si grand personnage de cinéma, c’est parce que Seidl n’en oublie pas d’être toujours italien. Bravo se révèle pathétique et héroïque à la fois. Il faut le voir sous ses strass pousser la chansonnette chaque soir comme s’il pouvait mourir d’un instant à l’autre. Il faut le voir draguer avec panache entre deux rots afin de donner son corps à des douairières peu excitées. Dans l’intimité de la chambre, Bravo est aussi dégueulasse que sublime tant il parvient à faire croire à ses clientes qu’il les adore. Comme tant de héros italiens, Bravo se berce et berce les autres d’illusions pour remédier à cet ennui existentiel que Seidl a si souvent filmé. Pour le réalisateur de la trilogie Amour, Bravo est pour le meilleur et souvent le pire l’incarnation d’une génération endettée jusqu’à la moelle, vivant aujourd’hui de divertissements pâteux afin de demeurer dans le déni des réalités. Évidemment, cette comédie risque de tâcher par son goût du détail sordide et sa description d’une humanité dérisoire. Mais ce serait faire un mauvais procès à Seidl que de le lui reprocher – comme à tous ceux pratiquant le même comique froid et net (Ruben Ostlund, Roy Anderson). Bravo nous émeut autant qu’il nous débecte. Il existe. À la différence de tant de cinéastes actuels (Hers, Winocour, Hansen-Love) qui manient la douceur et la fausse bienveillance comme Bravo la sentimentalité et la nostalgie, Seidl a le mérite de l’insolence et du mauvais goût pour mieux regarder ses contemporains et l’époque droit dans les yeux. 

Rimini d’Ulrich Seidl. Avec Michael Thomas, Tessa Göttlicher. Sortie, le 23 novembre. Damned Distribution

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