Fictionnant ses années d’apprentissage aux Amandiers de Patrice Chéreau, Valéria Bruni-Tedeschi transmet le feu sacré à une nouvelle troupe de jeunes comédiens.

L’autobiographie fictionnée est une des veines les plus manifestes de la filmo de Valeria Bruni-Tedeschi. On peut y distinguer deux sous-catégories : l’autobiographie intime (Il est plus facile pour un chameau, Un Château en Italie, Les Estivants…) et l’autobiographie professionnelle à laquelle appartiennent Actrices, et désormais Les Amandiers. Dans ce nouveau film, Bruni-Tedeschi s’approche au plus près de l’os originel de son destin de comédienne et de femme : ce théâtre des Amandiers et son école, dirigés par Patrice Chéreau et Pierre Romans, où elle a été formée dans les années quatre-vingt avec toute une génération (Marianne Denicourt, Bruno Todeschini, Agnès Jaoui, Eva Ionesco, Vincent Pérez…)… La méthode Chéreau, influencée par l’Actor’s studio de Lee Strasberg, était fondée sur un investissement total, un engagement du corps, une exigence extrême : il s’agissait d’habiter à fond les rôles, de mettre ses tripes sur la scène, de transfigurer les textes dans un magma en perpétuelle fusion. Valeria BT transcrit ici à merveille cette soif d’absolu, ce feu du jeu, la jeunesse sexy des corps neufs, ainsi que le mélange d’amitiés, de rivalités et d’émulation qui animait toute la troupe. Les Amandiers est avant tout un film dédié corps et âme aux comédiennes et comédiens, un film physique qui bouge, vibre, transpire de tous ses pores tel un organisme vivant, sauvage.

S’inscrivant plus ou moins consciemment dans une lignée de films sur la porosité entre le théâtre et la vie (on pense au Carrosse d’or de Renoir, mais aussi au récent Guermantes d’Honoré), Les Amandiers se construit aussi à fond sur ces frontières floues entre le jeu et la réalité. Les apprentis acteurs et actrices étudiaient aux Amandiers sous le magistère des charismatiques Chéreau et Romans, mais aussi y vivaient, y bouffaient, y aimaient, y baisaient. Cette école de théâtre était clairement aussi une école de la vie. On y travaille, on y joue, on y souffre, les couples se forment puis se déchirent, on bosse et on vit à fond dans l’énergie inépuisable de la jeunesse. Mais qui dit années quatre-vingt dit aussi émergence du sida. On meurt donc aussi dans Les Amandiers, et surgit cette scène tragicomique où chacune et chacun se demande s’il a été contaminé par le mortel virus, car tout le monde a plus ou moins couché avec tout le monde. Comme dans tous les films de Valéria, la tragédie côtoie la vitalité, le rire passe la balle aux larmes, les personnes, les personnages et les acteurs se fondent ou se confondent si bien qu’on ne sait plus distinguer le vrai et le faux, dans un continuum entre la scène et la coulisse.

Bruni-Tedeschi orchestre et chorégraphie avec maestria cette ronde enflammée de théâtre et de vie et sa troupe de jeunes actrices et acteurs tout frais est superbe. Citons les principaux : Nadia Tereszkiewicz, Sofiane Bennacer, Clara Brétheau… pardon aux autres qui sont toutes et tous excellents. Ajoutons Louis Garrel qui compose un Chéreau peu ressemblant mais faisant néanmoins passer une idée claire de ce que pouvaient être l’autorité naturelle et le charisme sévère du mythique metteur en scène. La plus belle réussite des Amandiers est peut-être là : l’élève Bruni-Tedeschi est devenue le temps de ce film la Chéreau d’aujourd’hui et a transmis le feu sacré à une nouvelle troupe de jeunes comédiens brûlants. Après avoir récolté, elle sème, et on aime.

Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi. Avec Nadia Tereszkiewicz, Sofiane Bennacer, Clara Brétheau, Louis Garrel, Micha Lescot, Suzanne Lindon… Fr, 2022, 2h06, Ad Vitam

En salles le 16 novembre. Découvrez la bande annonce du film en suivant ce lien.