Dans cette méditation déchirante sur les liens entre prisonniers et gardiens de prison, le célèbre réalisateur italien de documentaires réunit les immenses Toni Servillo et Silvio Orlando.

Vous êtes surtout connu comme réalisateur de documentaire. Qu’est-ce qui vous a motivé pour réaliser une fiction comme Ariaferma sur les prisons en Italie ?

J’ai ressenti une vive émotion en en visitant certaines. Je me suis rendu compte que pour parvenir à retranscrire ce sentiment d’empathie, il fallait styliser, se détacher de la réalité. La fiction permet par ailleurs d’effectuer des expériences dramaturgiques comme j’avais pu le constater dans mes films de fiction qui se déroulaient aussi en huis clos. En mettant les personnages sous cloche, vous pouvez les observer et les comprendre en les libérant de leur habituel rôle social. Dans ce film, j’ai voulu permettre à des gardiens et des prisonniers de cohabiter en dehors des règles habituelles régissant les prisons.

Votre scénario tourne autour du personnage pivot d’un gardien-chef campé par Toni Servillo. Pourquoi avoir adopté le point de vue d’un gardien plutôt que d’un prisonnier comme il est de coutume ?

Malgré le processus de déshumanisation propre à tout univers carcéral, subsistent toujours des bribes d’humanité. Je voulais en voir naître une dans le regard d’un vieux gardien qui soudain prend conscience de la condition des détenus.

Pourquoi ce gardien change-t-il de point de vue sur ces prisonniers qu’il connaît depuis des années ?

C’est l’enjeu du film. La situation d’urgence que j’ai créée le force à devoir se déplacer et à prendre des décisions alors qu’il avait toujours été jusque-là un exécutant. En changeant de poste, il regarde ses semblables d’un autre point de vue et voit les hommes autrement.

Diriez-vous que vous avez substitué au désir d’évasion – propre à la caractérisation de n’importe quel prisonnier au cinéma – un désir d’ouverture ?

Le désir d’évasion comporte toujours un danger. C’est donc plus concevable d’envisager l’ouverture et la rencontre avec les autres, même si le système fait tout pour l’en empêcher.

Impossible de ne pas penser au dispositif panoptique décrit par Michel Foucault dans cette salle où gardiens et prisonniers cohabitent pendant le film.

Oui, j’ai bien exigé de déplacer le lieu de l’action dans un lieu d’observation panoptique. Mais ce moyen me permettait aussi de redoubler le décor à la façon d’une scène théâtrale afin de mieux dégager les caractères de mes personnages.

La merveilleuse scène de dîner entre gardiens et prisonniers évoque la Cène.

Eh bien imaginez que nous n’en savions rien pendant l’écriture. C’est plus tard que nous nous sommes rendus compte qu’ils étaient douze à table. Vous avez beau ne pas être croyant, il y a toujours un fond de catholicisme qui perdure dans tout italien.

Avez-vous écrit en pensant à Toni Servillo et Silvio Orlando ?

Oui mais je leur avais confié l’autre rôle. Toni devait jouer le prisonnier et Silvio le gardien. Mais ça paraissait trop évident. Là aussi, je me suis rendu compte qu’il faut déplacer les choses pour qu’elles produisent des effets nouveaux et nous permettre de regarder le monde différemment. C’est Toni qui a réussi à convaincre Silvio de jouer ce rôle de prisonnier qui ne lui plaisait pas. Ironie du sort, c’est lui qui a remporté le Prix d’interprétation aux Donatello !

Ariaferma de Leonardo Di Costanzo, avec Toni Servillo et Silvio Orlando. Sortie, le 16 novembre Survivance. Découvrez la bande annonce du film en suivant ce lien.