Conçu comme une lettre filmique à sa fille, Coma de Bertrand Bonello prend en charge l’angoisse de nos temps avec une inventivité magnifique.

Les bons films sont fréquents, mais les claques de cinéma, beaucoup plus rares. En voilà une. Et pourtant, ce nouveau film de Bertrand Bonello est un geste aussi simple que sophistiqué. Simple, car Coma est un acte d’amour du cinéaste pour sa fille adolescente, conçu pendant l’étrange période du confinement. Pour s’adresser à elle en ces temps troublés et particulièrement anxiogènes pour la jeunesse, Bonello a tenté de pénétrer dans l’univers mental des jeunes filles d’aujourd’hui, ce continent rose et noir qu’il connaît sans doute un peu mais pas tant que ça. Coma est physiquement confiné dans la chambre d’une adolescente, mais esthétiquement ouvert à tous les espaces mentaux ou numériques qui squattent l’imaginaire des ados : conversations entre amies sur les réseaux, soaps rudimentaires style Les Feux de l’amour, commentaires dépassionnés sur les tueurs en série, et par-dessus tout, emprise des influenceuses. L’une d’elles s’appelle Patricia Coma, dispense recettes de cuisine ou petites leçons de vie. Elle règne surtout sur un outremonde inquiétant, clair-obscur, généré par la fusion toxique entre les réseaux sociaux, l’imaginaire tourmentée de l’adolescente et ses cauchemars nocturnes.

Dans sa représentation de l’univers mental d’une fille confinée, Comaest un feu d’artifice d’idées de mise en scène et de propositions esthétiques. Bonello mélange ici le naturalisme des chambres ado, la mise en scène de poupées Barbie (coucou David Lynch, ou Todd Haynes, ou… Bonello), le brouillage entre rêve et réalité dans un halo d’inquiétante étrangeté (encore Lynch), la paranoïa d’une surveillance anonyme généralisée (hello Fritz Lang, ou Brian De Palma), le teen movie et l’horror movie, ou encore le texte incrusté sur l’écran d’une lettre à sa fille pendant que défilent des images de notre apocalypse contemporaine (bonjour JLG)… 

Ce carambolage de différents systèmes de mise en scène, de divers régimes d’images, de disjonctions son-image, d’allers-retours entre réalité physique et monde mental, pourrait paraître trop fragmenté, trop cubiste, trop théorique, trop conceptuel, et pourtant, il fonctionne, trouve sa cohérence post-moderne, captive et finit même par bouleverser. Ce mélange où se catapultent différents niveaux de réalités et de perceptions est ce qui définit aujourd’hui nos imaginaires et nos vies. Ne sommes-nous pas toutes et tous sollicités quotidiennement par nos tâches, nos mails, nos textos, nos déplacements, nos rendez-vous, nos obligations, nos rêves, nos loisirs physiques ou numériques ? Ce chaos permanent de signes, d’écrits, d’images et de sons, ce constant zapping de réalité organique et de métavers numérique est ce qui nous modèle tous, à divers degrés. Si votre serviteur old school abonné à aucun réseau social a conscience de ce changement de paradigme, une jeune fille de 15 ans digital natives n’en a pas seulement conscience, elle le vit avec le plus grand naturel car elle est née dedans. C’est à l’ombre des jeunes filles en fleurs mutantes de 2022 que Bertrand Bonello a réalisé ce film, y ajoutant en introduction et en conclusion ses propres angoisses d’homme quinqua et de père. Coma est autant un émouvant dialogue père-fille qu’un prolongement des questionnements godardiens sur les images et le langage, quoique formulés ici avec un peu plus de clarté que chez le défunt maître de Rolle. Bonello signe là un film sombre, anxiogène, angoissé, magnifique de puissance et d’invention. Un film de notre temps, pour notre temps.

Coma de Bertrand Bonello, avec Julia Faure, Louise Labèque et les voix de Laetitia Casta, Louis Garrel, Gaspard Ulliel, Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste, Fr, 2022, 1h20, New Story

Sortie 16 novembre. Découvrez la bande annonce du film en suivant ce lien.