Avec Performance, Simon Liberati revient à ce qu’il sait mieux faire, l’autobiographie déglinguée, d’un écrivain vieillissant fatiguée. Une réussite.

Les fidèles lecteurs de Simon Liberati peuvent être rassurés. L’auteur à l’univers si précis d’Anthologie des apparitions et des Démons n’a pas subitement décidé de changer de registre littéraire. Au contraire, Performance le montre en train de creuser plus profond encore une matière dont il excelle ici plus que jamais à tirer le meilleur parti. Le narrateur est un homme de soixante et onze ans qui se remet fort mal d’un AVC survenu après des années d’une existence menée à un train d’enfer. De son propre aveu, il ressemble désormais à un « anachorète », à un « vieux desperado désargenté, édenté et parfois saoul ».

Voici surtout un écrivain n’arrivant plus à écrire – c’est fâcheux quand on n’a eu de cesse de rechercher une vérité –, réduit à vivoter grâce à une poignée d’articles de presse ou à la générosité « de quelques protecteurs fortunés ». Heureusement, deux « petits producteurs » qu’il tient en piètre estime lui proposent soudain de rédiger le scénario d’une mini-série en trois épisodes intitulée Satanic Majesties. Rendre « les caractéristiques et les attitudes de l’aristocratie pop anglo-saxonne » et de ses figures de proue, il n’est pas certain d’en être capable. Mais après tout a-t-il vraiment d’autre choix que d’accepter le projet ?

Le double de Simon Liberati se partage entre la chambre numéro 12 d’un hôtel du faubourg Saint-Germain pratiquant des tarifs acceptables et un humide presbytère à la lisière de la région parisienne. Il ne cache pas être plus que jamais lâché par son corps, « très ami des excès » et du whisky consommé à haute dose à six heures du soir. Son cœur bat néanmoins fort pour une belle enfant. Son ancienne belle-fille. La jeune Esther. Une suissesse anorexique et longiligne d’1,76 mètre, à la fois actrice et mannequin, lectrice de Valery Larbaud, notamment du Miroir du café Marchesi et du Portrait d’Eliane à 14 ans. Cet ultime amour est bien douloureux pour celui que sa douce appelle « Mimi », tant sa fin inéluctable le ronge au plus profond. De plus en plus obsédé par la fatalité, l’apprenti scénariste se replonge dans une époque dont Mick Jaegger, Keith Richards, Brian Jones, Anita Pallenberg et Marianne Faithfull étaient les seigneurs.

Il se prend étonnamment vite au jeu de piste. S’interroge sur les raisons du reniement de ce « chien enragé » de Brian Jones et de sa descente aux enfers jusqu’à sa mort tragique le 3 juillet 1969 à l’âge de vingt-sept ans ; sur la trahison de la diabolique Anita Pallenberg ; sur la personnalité d’une Marianne Faithfull à l’âme mystique et tourmentée qui se définissait dans ses mémoires comme une « Mary Shelley sans Frankenstein »…

Simon Liberati est parfaitement à son aise tout au long du vibrant Performance. Sans doute son roman le plus subtilement dosé et tenu à ce jour. Un brillant condensé de son vaste talent et de sa capacité d’envoutement.

Simon Liberati, Performance, Grasset, 252p., 19 €.