Une maison close à Berlin, une jeune femme prostituée, une histoire d’amour entre elle et une autre prostituée Queer. Henrika Kull signe un film, Seule la joie, finalement lumineux.

Une maison de passe à Berlin, Sascha (Katharina Behrens), jeune femme blonde au sourire renversant, y exerce la profession de prostituée. Elle a un fils qu’elle aperçoit de loin en loin au gré de ses retours dans la petite ville de province où celui-ci vit avec son père et sa belle-mère. Le sujet est rebattu et pourtant Seule la joie (Glück, en allemand, donc « Joie » tout court) raconte quelque chose de neuf. Est-ce que cela tient à la mise en scène de la cinéaste Henrika Kull ? Au jeu lumineux des actrices ? À la crudité quasi documentaire des scènes de la vie quotidienne au bordel ? Peut-être est-ce un peu tout cela à la fois. Sascha fait son travail et ce travail nous est montré crûment, sans scabreux, ni pathétique. La cinéaste, bien entendu, ne cherche pas à occulter l’aspect rebutant de certains clients mais son propos n’est pas là. La misère de ses putes, la laideur de l’univers dans lequel elles évoluent ne l’intéresse pas. Elle suit ces travailleuses du sexe dans leur routine répétitive avec ses gestes ritualisés : la présentation des filles aux clients en file indienne, les douches avant et après le sexe, les lubrifiants et les capotes pour se préserver des maladies, microbes ou grossesses importunes. Ce que Henrika Kull nous donne à voir, c’est une histoire d’amour et le difficile chemin pour atteindre, ou plutôt pour accepter la joie qui l’accompagne. Les contradictions de Sascha, qui s’appelle en réalité Maria, tiennent déjà dans ce nom abandonné. Maman et Madone, elle veut retrouver l’amour auprès de la très jeune et très brune italienne Maria (Adam Hoya). Elle aussi pute et performeuse, plus novice, plus tatouée, elle aussi aux prises avec ses contradictions — un père lointain auquel elle invente une fiction de couple marié et de bébé à venir. Un père auquel elle envoie de l’argent sans jamais en révéler l’origine. Sur une tombe, elle ensevelit ce que d’aucuns appelleraient ses péchés, Maria, priez pour nous, pauvres de nous. Deux Maria — deux actrices radieuses de bout en bout —, donc, l’une brune et l’autre blonde, l’une prête à s’abandonner, l’autre pas. Deux trajectoires qui tentent de s’unir dans la joie. Rarement on aura fait le pari de montrer autant de lumière et de bonheur dans un environnement aussi sombre. Le film ne raconte rien d’autre. Un poisson à la robe bleue traduit le blues de Sascha, côté face, puis une fois placé dans un bocal chez elle, il représente soudain son désir d’aimer malgré tout, côté pile. Les gestes amoureux cent fois répétés, mécanisés, sont rejetés par Maria qui ne sait plus baiser tendrement sans vendre son corps, sans user de sa technique habituelle pour faire monter le plaisir. De la même façon, lorsque Sascha jouit avec un client et que le type, satisfait, veut lui fourguer son numéro, elle décline poliment l‘invitation. La frontière ténue entre l’intime et le professionnel est sans cesse interrogée par un film qui ne tranche pas, un film qui tend vers la lumière et oui, finalement, vers l’amour et la joie.

Seule la joie de Henrika Kull (Allemagne) avec Katharina Behrens (Sascha) et Adam Hoya (Maria). Outplay. Sortie le 2 novembre.

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