Jusqu’où peut-on aller pour cacher que son fils s’est transformé en un insecte répugnant ? La plasticienne et marionnettiste Claire Dancoisne, s’empare de La Métamorphose pour un spectacle aux masques et créatures inspirés de Kantor.

Depuis son premier spectacle adapté de Gabriel Garcia Marquèz, Un monsieur très vieux avec des ailes immenses(1995), jusqu’à L’Homme qui rit (2019), Claire Dancoisne montre souvent un quotidien perturbé par l’irruption d’un héros différent -rappelons-le pour la beauté de ces chefs-d’œuvre du théâtre d’objets : respectivement un ange dans un petit village de pêcheurs et un vagabond à la Chambre des Lords. Mais qu’on ne se méprenne pas, m’explique-t-elle aux aurores, au téléphone depuis Dunkerque où elle est déjà en pleine répétition. « La monstruosité vient des autres. Ce sont eux les vrais monstres ». Ici, l’impact de la transformation est familial. L’action se déroule dans une maison extrêmement lisse, dont « rien ne doit jamais sortir ». Sauf les apparences, lorsque les parents de Gregor se donnent à voir, comme si de rien n’était, pour faire des barbecues avec les voisins-spectateurs sur le gazon. Dedans tout est permis. L’envie d’adapter librement cette nouvelle de Kafka est née pendant le confinement. « Tout le monde parlait d’un changement, d’une grande transformation de la société après le Covid. Je n’y croyais pas du tout », me confie-t-elle en rigolant. Mais l’idée de la métamorphose était là. Et l’envie de montrer que la famille de Gregor puise, comme un vampire, son énergie dans la déchéance de leur fils. « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas qu’un jeune homme se transforme en cancrelat, c’est l’impact sur sa famille. Au début Gregor est le seul à être animé, à travailler. Puis il y a sa transformation. Ensuite, plus l’insecte est blessé et se détruit, plus il faut sauver les apparences et plus les autres retrouvent l’énergie ». Claire Dancoisne avait mis en scène, il y a quelques années, Sweet Home, sans états d’âme, d’Arthur Lefebvre. Un petit bijou de méchanceté dans lequel une femme sans âge élaborait des plans machiavéliques pour se débarrasser des habitants de son immeuble et s’installer à son sommet. Dans BasiK InseKte, la volonté farouche de sauver les apparences va jusqu’au thriller. « Toute personne qui entre dans la maison et découvre la vérité sur le fils doit disparaître », me raconte-t-elle. Sans état d’âme, non plus. D’où les masques, réalisés par un facteur belge, qui, pour une fois dans son travail, sont extrêmement réalistes : « sans aucune expression, les yeux fixes, avec une étrangeté troublante, assez mortuaire ». Claire Dancoisne me parle avec passion de la Classe morte de Kantor dont elle adore la beauté plastique. Il n’empêche ; les masques de BasiK InseKte seront portés par des comédiens qui les animeront. Les masques étant surtout un outil au service du théâtre de cette entomologiste passionnée de nos mœurs. Sur le fil, entre réalisme et fantastique, entre la mort et la vie, dans une scénographie inquiétante et déroutante. Quant au cancrelat, la charismatique maîtresse des ombres ne m’en dira rien : « il faut garder du mystère, vous viendrez le voir ! ». 

BasiK InseKte, de Claire Dancoisne, Théâtre des Feuillants, ABC Dijon : les lundi 3 et mardi 4 octobre; Le Mouffetard : du vendredi 7 au jeudi 20 octobre; Le Bateau feu : du mardi 15 au vendredi 18 novembre; Le Channel : les vendredi 25 et samedi 26 novembre.