Un Rigoletto avec de superbes interprètes et une mise en scène détonante s’annonce ce mois-ci à l’Opéra de Rouen. 

C’est la plus tragique des comédies, ou la plus grinçante des tragédies opératiques : Rigoletto, le bouffon essayant de sauver sa fille dans une société qui le méprise, s’avère un succès incontesté depuis sa création en 1851 à la Fenice de Venise. Et pourtant, à l’époque, le pouvoir autrichien avait découpé quelques passages, jugés insupportables sur les affres et la cruauté de la Cour de Mantoue, où l’on reconnaissait d’autres royautés. Deux siècles et demi plus tard, les ciseaux de la censure ne sévissent plus, et c’est dans toute sa parfaite structure que nous avons l’habitude de voir Rigoletto, l’un des chefs-d’œuvre musicaux de Verdi, réinvention du puissant drame d’Hugo. Et sans cesse, nous tremblons avec Rigoletto, lancé dans sa bataille perdue d’avance contre le pouvoir, qui n’a pour lui que son amour de père.

Dans le rôle du terrible duc de Mantoue qui fera la perte de Rigoletto et de sa fille, les plus vastes coffres de l’opéra contemporain se sont succédé : Pavarotti, Domingo, Alagna…Nul hasard donc que ce soit en cette rentrée Pene Pati, ténor montant à la vitesse de la lumière dans le monde de l’opéra, qui assume ce rôle sur la scène de Rouen. Il est en territoire d’élection : Pati fut révélé par Rigoletto à San Francisco en 2017, alors même qu’il faisait ses premiers pas de ténor après ses études. Face à lui, sa fille Gilda, sera portée par Rosa Feola, qui elle aussi prend peu de risques, puisqu’elle s’emparait du rôle il y a deux ans à Rome. 

L’audace donc de ce Rigoletto se joue ailleurs : dans la mise en scène contemporaine de Richard Brunel, et dans la performance d’un personnage ajouté à l’œuvre de Verdi, la mère défunte de Gilda. Incarnée par la danseuse étoile Agnès Letestu, cette créature viendra comme un spectre poétique hanter l’opéra, et faire entendre celle qui demeure normalement la grande absente du livret. La femme de Rigoletto, celle par qui, pourrait-on dire, tout a commencé. L’ajout de ce personnage peut tout bouleverser : car s’il y a mère, il n’y a plus seulement cet amour, vaguement incestueux, et du moins obsessionnel, à la manière du Père Goriot, qui unit Rigoletto à sa fille. S’il y a mère, il n’y a plus ce sentiment de voir la jeune Gilda seule livrée à une société d’hommes, prête à la dévorer. S’il y a mère, dans un monde de ballet tel que l’a conçu Richard Brunel, Rigoletto dépasse la fable sur la cruauté du pouvoir dans les sociétés royales, et devient un conte sur la folie du pouvoir dans toute forme de société, même la plus délicate apparemment. Le metteur en scène et actuel directeur de l’Opéra de Lyon connaît bien Verdi, pour l’avoir déjà monté, et offre donc parmi les danseuses sa propre interprétation, esthétique et psychologique, du drame du pauvre bouffon. Cette mise en scène, que nous n’avons pas encore vue, promet donc de relancer les dés de l’opéra de Verdi, et de nous faire entendre ces airs si connus, d’une manière décalée, peut-être neuve. N’est-ce pas là la nécessité de toute mise en scène d’une oeuvre aussi célèbre ? 

Rigoletto, Guiseppe Verdi, direction musicale Ben Glassberg, mise en scène Richard Brunel, Opéra de Rouen, du 22 septembre au 1er octobre. 

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