Navy Blue, la première grande pièce de groupe d’Oona Doherty, voit la danseuse du réalisme social se tourner vers un romantisme classique. Pour le repeindre à sa manière…

Nous étions en plein confinement et Oona Doherty était de retour chez elle et sa famille, à Bangor, près de Belfast en Irlande du Nord. Se ressourcer, prendre le temps, réfléchir à son chemin, retrouver un studio et ne faire rien d’autre que danser. « On n’avait plus de travail, mais pour la première fois, je pouvais danser sans devoir produire pour d’autres. » Et elle retrouva non seulement sa famille mais aussi sa professeure de ballet ! Jamais on n’aurait imaginé ça, en l’entendant avec son accent presque slang quand elle parle l’anglais de chez elle. Mi-punk mi-sauvageon, Oona était authentique, aimait vivre dans une ambiance de squat et avait bousculé le monde de la danse avec ses solos où elle s’inspire de cette vie dans les rues de Belfast et des mâles qui foncent dans le mur avec leur surcharge de testostérone. Aussi elle était une danseuse non binaire avant la lettre, sans s’intéresser à la mouvance. Sa source n’était pas une attitude, mais le réel vécu dans la rue. Aussi elle connaît ces adolescents sur le bout de ses doigts, si bien qu’elle savait décerner sous leur peau rigide un énorme besoin de tendresse. Avec sa danse rugueuse, en seulement deux créations, Doherty est devenue une star sur tous les festivals d’Europe et de Navarre. 

Et soudain, elle est maman, laisse pousser ses cheveux et annonce vouloir faire : un ballet. Tout ça, en raison d’un confinement ? Alors, bien sûr, ce ne sera pas un ballet romantique, mais tout de même ce Navy Blue, où tout commence par Rachmaninov et finit sous les sons électros mais sombres de Jamie XX, fondateur du groupe Indie-Pop britannique The XX et auteur de la musique de Tree of Codes de Wayne McGregor, créé en 2015 par le Ballet de l’Opéra de Paris. Rachmaninov parce qu’elle avait en effet pris des cours de ballet pendant son enfance « mais sans arriver à un niveau professionnel », et qu’elle en avait abordé le Concerto numéro 2 pour piano en pensant le remplacer par une création électronique. Mais elle apprend en ce moment à se surprendre : « Je sentais que je n’arrivais plus à me débarrasser de ce Concerto. Le lien qui s’était formé était trop fort. » Elle l’explique à Pantin, au Centre National de la Danse, après une semaine de travail avec les douze interprètes de Navy Blue, vrai microcosme d’expériences professionnelles, du classique au hip-hop en passant par la technique Gaga d’Ohad Naharin. Un ensemble international et intergénérationnel qui rencontre la musique « si triste, si romantique, si désespérée et pourtant si pleine d’espoir » de Rachmaninov avec des gestes intimes qui, partagés, tendent vers l’expérience spirituelle. Mais on n’a vu à Pantin qu’une petite séquence dont Oona dit : « C’est un ballet. Probablement… » Surtout, on attend avec impatience la surprise de la cheffe, ce bleu marin qui viendra d’on ne sait où pour tout envahir, tout couvrir et plonger les personnages dans un noir cosmique. Mais on constate que l’espérance et le ciel comme références seront présents, comme déjà dans l’un des célèbres solos de Doherty, Hope Hunt : la chasse à l’espoir. 

Navy Blue d’Oona Doherty. Chaillot Théâtre national de la danse. Du 20 au 30 Septembre 

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