Des chants traditionnels marocains à la présence mystérieuse occidentale : Bal(l)ade avec la chorégraphe Bouchra Ouizguen, crée à Montpellier et ce mois-ci à Pompidou.

L’éléphant est-il le complice de la fourmi ou son contraire ? En 2015, Bouchra Ouizguen avait créé à Montpellier Danse sa pièce Ottof (les fourmis, en berbère). Des insectes comme métaphore pour évoquer la condition humaine. Sept ans plus tard, au même festival, c’est Eléphant, mais cette fois sans nous expliquer le lien entre le pachyderme et les trois chanteuses-performeuses marocaines qui croisent dans ce quatuor une danseuse contemporaine occidentale. Supposons donc ceci : primo, les éléphants vivent, comme les humains, en communauté et accordent dans leur existence une grande importance à la mémoire, à l’autre et aux rites, ce qui est le sujet-même de ce quatuor très sensible à la tradition chantée. Deuxio, l’humain, par sa taille, se situe à mi-chemin entre la fourmi et l’éléphant, couple que La Fontaine avait omis de mettre en relation, ne sachant sans doute pas à quel point certaines fourmis peuvent faire peur aux éléphants. Mais si les éléphants savaient chanter – et sans doute en rêvent-ils en cachette – ils emprunteraient probablement les thèmes aux chanteuses berbères du spectacle, qui évoquent la famille, les mariages, les départs… Appelons donc Eléphant de Bouchra Ouizguen une pièce-mémoire, d’abord puisque chacun de ses spectacles se situe dans la richesse relationnelle entre le présent et un passé séculaire, et ensuite pour la beauté de la tradition incarnée par les costumes, les coiffes, le tapis berbère… Et bien sûr pour les rythmes de leurs mini-derboukas.

On peut aujourd’hui interpréter l’engouement immédiat suscité par les créations berbères d’Ouizguen à partir de 2008 (Madame Plaza) comme un symbole du besoin de la danse contemporaine de se ressourcer hors de sa propre tradition. Dans Eléphant,cette appétence est incarnée par la danseuse blonde qui, dans sa tunique bleu ciel, traverse cet univers marocain à la manière d’une invitée au village. Joséphine Tilloy virevolte entre les chanteuses ou prend place à leurs côtés sur le tapis, telle une adolescente occidentale en quête d’aventures ou d’elle-même. Cette drôle de composition tomba, à Montpellier Danse, dans l’énorme boîte noire d’une scène où le public se trouva de l’autre côté du quatrième mur. La performeuse française devait-elle faire le lien entre « nous » et « elles » ? Il serait plus efficace de placer Eléphant dans une autre configuration, pour que le public aussi puisse se sentir invité. Mais Ouizguen saura tirer les bonnes conclusions des premières sorties en compagnie de son Eléphant. Autodidacte, elle n’a de toute façon jamais travaillé selon les codes académiques de l’art contemporain, en vigueur entre Bergen et Marseille. Ce qu’elle amène, c’est l’authenticité de sa vie au village, dans la montagne. C’est là qu’elle a répété les chants et on imagine volontiers que c’est de là que viennent les traces de chaussures sur le tapis de danse que les femmes marocaines s’efforcent d’effacer juste après l’entrée du public. Reste à partager en vrai, avec nous, cette balade chantée au village. 

Eléphant de Bouchra Ouizguen, avec Milouda El Maataoui, Bouchra Ouizguen, Halima Sahmoud et Joséphine Tilloy

Centre Pompidou, du 14 au 17 Septembre

T2G Théâtre de Gennevilliers, les 29 et 30 Septembre

Points communs – Théâtre 95, le 11 Octobre

Informations et réservations ICI.