La galerie Lelong & Co. dédie tous ses espaces parisiens à Jaume Plensa, pour une symphonie sculpturale. 

Il y a un mois, je restais de longues minutes entre deux tours miroitantes du Millennium Park de Chicago. Sur leur façade argentée, le défilé hypnotisant de visages de plus de 15 mètres de haut. Les habitants de Chicago m’apparaissaient à la manière d’un morphing futuriste, s’intégrant à l’architecture déjà époustouflante de la métropole du Midwest. J’apprenais qu’il s’agissait de la fameuse Crown Fountain du sculpteur catalan Jaume Plensa, qui a essaimé ses sculptures urbaines dans le monde entier. Suède, Canada, Espagne, Brésil, Chine, Royaume-Uni, Corée, États-Unis… La dernière en date, à Jersey City, fait émerger un monumental visage de jeune fille, les yeux fermés et le doigt sur la bouche en signe de silence, face à la skyline de New York.  En France aussi, à Bordeaux, Nice, Porquerolles ou Antibes, ces présences « zen » ponctuent le paysage. Dans cette dernière ville, au bastion Saint-Jaume du port Vauban (nom prédestiné !) un géant énigmatique est assis face à la mer. Son corps vide, habité par le vent, n’est souligné que par une fine dentelle d’acier inoxydable, peau blanche, façon treillis, tissée d’une multitude de lettres, peut-être des poèmes de Baudelaire ou de Blake, que l’artiste affectionne. Pour déchiffrer ces mystérieux livres transparents, le musée Picasso d’Antibes consacre justement une exposition à l’artiste (du 10 juin au 25 septembre) en se penchant sur son œuvre dessinée accompagnée d’une monographie éditée chez Skira (en écho aussi à une série d’expositions estivales au musée d’art moderne de Céret, au Domaine de Chaumont-sur-Loire, au Château Sainte Roseline aux Arcs-sur-Argens et au Yorkshire Sculpture Park au Royaume-Uni).

Cette actualité foisonnante est l’occasion pour la galerie Lelong  Co. de montrer les dessins et les estampes de l’artiste mais surtout celles qui sont devenues ses icônes, ses têtes de jeunes femmes archétypales, dont on ne sait si elles viennent de temps immémoriaux ou d’une planète inconnue. Flora, Minna, Hortensia, Juana… Elles auraient aussi pu s’appeler Eléa. Barjavel n’aurait pas renié leur silhouette d’une perfection légendaire. Elles se dressent, silencieuses, les yeux fermés, déesses d’albâtre, de granite et de marbre, aussi lisses qu’une apparition elfique. En ces temps de guerre et de colère, leur enveloppe féminine respire une infinie douceur. « J’ai toujours eu l’idée que la mémoire était féminine, que le futur était féminin et que nous, les hommes, nous étions un accident, un accident extraordinaire, mais un accident. La tradition est féminine, toutes les choses importantes qui marquent notre vie sont féminines » explique l’artiste à Catherine Millet, dans une interview retranscrite dans le livre Le Silence du Scribe publié aux éditions de la galerie. Et là encore, en tournant autour de leurs profils étirés et aplatis, la métamorphose opère, sculptant étrangement le vide. Égyptiennes, cycladiques, futuristes ? Elles sont simplement fabuleuses, au sens où elles font naître le désir des mots et des histoires. 

Exposition Jaume Plensa, Noir & Blanc, du 20 mai au 18 juillet 2022, Galerie Lelong, galerie-lelong.com