Inspiré d’un fait divers, Nitram de Justin Kurzel observe la dérive d’un jeune Australien psychotique. Avec Caleb Landry Jones, prix d’interprétation à Cannes. En salles mercredi 11 mai.

Il n’a pas l’air méchant, Nitram, avec son look de Kurt Cobain grassouillet. Juste un peu barré, foldingue, vaguement ingérable, légèrement retardé, grand gosse immature de vingt ans, le genre à faire exploser des pétards devant des gamins pour les impressionner. Son proche environnement ne l’aide pas : il est le souffre-douleur de ses copains surfeurs, qui l’ont affublé de ce sobriquet de Nitram – Martin en verlant. Les gars emballent toutes les filles et laissent Nitram faire tapisserie. Son père est mollasson, dépassé, mais sa mère semble le contrôler, quoique un peu trop autoritaire. Il finit par s’acoquiner avec une vieille voisine excentrique chez laquelle il tond d’abord la pelouse, puis finit par emménager.

Toute l’étrange tension du film de l’Australien Justin Kurzel (Assassin’s creed, Le Gang Kelly…) réside dans les incertitudes inconfortables générées par cet adulescent mal dégrossi. Est-il juste un peu allumé ou carrément dangereux (pour lui et pour les autres) ? Avec sa bonne bouille de surfeur blond, on ne sait pas trop. Et quelle est la nature du couple qu’il forme avec cette nouvelle amie perchée qui a quelque quarante années de plus que lui ? Ce régime de folie douce se déroule dans un cadre solaire, la Tasmanie, province îlienne et reculée de l’Australie, un genre de Californie dépeuplée du bout du monde : à la folie de Nitram s’ajoutent l’ennui et la frustration. À moins que ce ne soit cet ennui qui ait exacerbé la dinguerie de notre homme.

Le regard de Kurzel surfe lui aussi sur une crête, entre bienveillance et danger, nous plaçant en pleine ambivalence, tendus comme des strings : on ressent de l’empathie pour Nitram, on est content qu’il échappe à ses parents étouffants, qu’il trouve un sens provisoire à sa vie vide, mais on craint pour lui et pour les autres. Ne devrait-il pas recevoir plus de soins, être mieux encadré par une institution spécialisée ?

Nitram est incarné avec force et justesse par Caleb Landry Jones. Son talent pour jouer la bizarrerie sans verser dans l’histrionisme lui a valu un prix d’interprétation mérité à Cannes (même si on avait un faible pour Simon Rex dans Red Rocket). Il est bien entouré par Essie Davis et Judy Davis (aucune parenté), chacune remarquable, la première en dame fantasque, la seconde en mère soucieuse et torturée.

Les craintes suscitées par Nitram se justifient quand il tue accidentellement son amie en emplafonnant leur voiture. On assiste ensuite à une dérive irrémédiable qui se terminera… pas bien. Sous le soleil balnéaire de Tasmanie, le sang coule aussi.

Ce film est inspiré d’un tragique fait divers. Il saisit parce qu’il laisse le sentiment d’un gâchis humain qui aurait pu être évité et touche pour son portrait d’une forme de monstruosité regardée avec empathie et sans jugement moral facile. Après Vincent Le Port et son Bruno Reidal, Justin Kurzel rappelle ce que devrait toujours être un cinéaste, un artiste : quelqu’un qui observe la singularité de ses semblables sans préjugés et sans discours surplombant, quand bien même cette singularité serait dérangeante, laissant à chaque spectateur sa liberté face à un abîme de réflexion.

Nitram de Justin Kurzel avec Caleb Landry Jones, Essie Davis, Judy Davis…Ad Vitam. Sortie le mercredi 11 mai.

Découvrez la bande-annonce de Nitram en suivant ce lien.