Madeleine Louarn et Jean-François Auguste mettent en scène une partie des Voyages de Gulliver, de Jonathan Swift. Une réécriture singulière, poétique et politique du roman satirique, par les comédiens en situation de handicap de la troupe Catalyse.   

C’est le troisième chapitre de ses aventures. Après sa découverte des Lilliputiens et des Géants, Gulliver (Manon Carpentier) arrive à Laputa, une île volante sur laquelle un roi tyrannique fait de l’ombre entre son peuple et le soleil. C’est une métaphore à peine voilée, réécrite par la troupe Catalyse pendant la crise des Gilets Jaunes, d’une France d’en haut et d’une France d’en bas qui ne s’entendent plus. Le dernier voyage de Gulliver se veut une échappée poétique mais aussi philosophique qui met en tension nos utopies et notre crainte de la mort. Car après l’île volante, Gulliver parvient sur l’île des sciences sur laquelle les habitants ont développé une avidité absurde et sans limites pour les nouvelles technologies. Une problématique poussée jusqu’au transhumanisme avant de nous entraîner, dans la dernière île, sur les rivages paradoxaux (Ah être éternel mais grabataire !) de l’immortalité. Des thématiques très contemporaines, affinées et réécrites, non sans humour, par les comédiens de Catalyse (avec lesquels Madeleine Louarn et Jean-François Auguste travaillent depuis 37 et 19 ans) qui ne manquent pas d’imagination « Si j’étais immortelle, je pourrais aller toute nue au Pôle Nord ! Et je pourrais essayer toutes les drogues qui existent », se projette ainsi l’un des personnages de la pièce. Faire écrire ces personnalités atypiques était une évidence pour Jean-François Auguste, fasciné par ces artistes dont le rapport à la scène est très concret « ils ouvrent un champ de jeu singulier et inédit, qui attire le regard du spectateur ». Si le metteur en scène ne voit pas de différences frappantes avec des acteurs dits « normaux », il souligne que tous ont besoin de consignes précises sur ce qu’ils doivent incarner. « C’est une direction d’acteur personnalisée pour chaque comédien. Il faut entrer dans leur esprit. Notre horizon mental, y compris esthétique, doit être très clair » poursuit-il. Esthétiquement justement, les metteurs en scène se sont associés à la plasticienne Hélène Delprat pour construire une scénographie dont l’esthétique flirte avec le rétrofuturisme, à travers de mini-structures mobiles qui représentent les îles. Les costumes, poétiques et sur-mesure, font aussi la part belle au plaisir. « L’un des comédiens adore les perruques, s’exalte Jean-François Auguste, on essaie de faire en sorte qu’il puisse en porter une sur chaque spectacle. Les costumes sont aussi liés à la singularité de leurs corps ». Pas question donc d’effacer l’altérité, quand bien même serait-elle étrange. Il s’agit de l’accentuer pour en sublimer la beauté. Une force des spectacles de Madeleine Louarn et de Jean-François Auguste se révèle ici encore. Sans jamais tomber dans la complaisance, ils proposent de voir la différence autrement et lui accordent une vraie place.  

Gulliver, le dernier voyage, mise en scène de Jean-François Auguste et Madeleine Louarn

Théâtre National de Bretagne, Rennes, Du 12 au 21 mai, La Comédie de Genève, 9 et 10 juin