C’est à l’Athénée que se joue en mai ce George Dandin baroque et splendide. Michel Fau y livre son art du spectacle. 

Il est des tendresses difficiles à concevoir : ainsi George Dandin. Comment un paysan enrichi et borné, pourrait-il apitoyer ? Parce qu’aucun visage humain ne lui est étranger, Molière parvient à nous émouvoir sur le sort de Dandin, mari pris au piège de ses mauvais choix.  George Dandin n’est pas seulement une farce sociale, elle nous plonge dans le cauchemar d’un homme perdu par ses désirs : il voulait entrer dans l’aristocratie, s’en faire accepter et aimer, et le voilà humilié par sa femme et ses beaux-parents. Il veut aujourd’hui en sortir, en prouvant l’adultère de son épouse, mais personne ne l’aidera à s’échapper du piège qu’il a lui-même conçu. Car il y a l’argent de Dandin, le « bien » évoqué du bout des lèvres par l’épouse et les parents, dont la noblesse a besoin, pour poursuivre son existence d’emplumée. Alors quoi ? Le mensonge pour lui et le sacrifice pour la jeune femme. 

Ce couple part à l’abattoir du mariage malheureux sans pouvoir y échapper : ils se détruiront l’un l’autre, plutôt que de parvenir à se libérer l’un de l’autre. Ce pourrait être du Bergman, c’est une comédie présentée au roi en juillet 1666 à Versailles, un somptueux cauchemar baroque ressuscité aujourd’hui par Michel Fau. Nous assistons donc à la version entrecoupée d’une pastorale de Lully. Fau, qui met en scène aujourd’hui autant d’opéras que de théâtre, conçoit le spectacle de Molière à mi-chemin de l’opérette et du théâtre, des chanteurs superbement costumés, viennent, entre les scènes, offrir des intermèdes. Cette dimension lyrique lui permet une scénographie à l’orée du grotesque. Entre La Famille Adams et un opéra de Campra, nous sommes dans un lieu onirique, voué au spectacle. Dandin passe une bonne partie de la pièce la tête levée : à l’étage, lui répondent ses beaux-parents, exceptionnels Monsieur et Madame de Sottenville, incarnés par Philippe Girard et Anne-Guersande Ledoux qui réussissent par leur virtuosité burlesque et leur pompe ironique à réinventer ces personnages de la comédie classique. Ils encadrent leur fille, la si mal nommée Angélique, féroce Alka Babir, le prétendant Clitandre, à qui Armel Cazedepats confère une préciosité hilarante, et la domestique Claudine, Nathalie Savary brutale et charismatique . Cette mise en scène verticale, outre qu’elle illustre au premier degré ce qui se joue sur scène- l’écrasement de Dandin -permet aussi une liberté des corps très Commedia dell Arte. Les comédiens s’assènent des coups de gourdin, se suspendent à l’étage, montent et descendent les escaliers. Un personnage, Lubin, drôle et ténu Florent Hu, semble d’ailleurs sorti des Fourberies de Scapin.  Molière, on le sait, ne perd jamais de vue la cavalcade burlesque. Michel Fau non plus. En Dandin pathétique à la diction impeccable, il livre une interprétation très classique du personnage de Molière, au service du texte. Là où d’autres cherchaient à créer un Dandin grave, subitement conscient de l’hypocrisie des mœurs de son temps, Fau offre par son Dandin ce qu’il transmet à chaque fois qu’il endosse un nouveau rôle : la dimension fondamentalement comique et mélancolique d’un personnage. Fau, comme Molière, demeure à la fois un clown qui cherche à amuser le public, et un tragique qui le prend à partie de sa propre médiocrité. Comme Molière Fau se révèle autant un contempteur du genre humain qu’un homme de scène, et là réside leur génie commun : vénérer avant toute chose l’instant glorieux du spectacle. 

George Dandin de Molière, mise en scène de Michel Fau, Athénée, jusqu’au 29 mai.