Après un beau succès public au festival d’Avignon, la marionnettiste promène son Pinocchio(live)#2 de ville en ville. Revisitant le mythe, elle imagine une fable noire dérangeante.
Ancré dans l’inconscient collectif, Pinocchio est pour beaucoup un bambin aux immenses yeux, turbulent, pas très sage, fait de bois, portant culotte rouge et chapeau toscan, qui un jour prend vie pour satisfaire les désirs de paternité de Gepetto, son créateur. Nombreux ont oublié que le personnage de Disney est inspiré d’un conte écrit par Carlo Collodi à la fin du XIXe siècle, que derrière le récit d’aventures, le journaliste florentin évoque le passage d’un état à un autre, le changement de vie, l’apprentissage. S’emparant du mythe, Alice Laloy le prend à rebours et en réécrit les fondements.
De part et d’autre d’un espace scénique nu, petits et grands s’installent. Dans un tonitruant vacarme, les élèves danseurs du Centre chorégraphique de Strasbourg investissent les lieux, s’amusent, jouent les pirates. Ils mettent un sacré bazar. Sans crier gare, troublés par une sorte d’intranquillité, ils quittent les lieux. Et sont aussitôt remplacés par de biens étranges créatures – issues de la classe d’art dramatique du Conservatoire de Colmar -, l’espace se transforme à vue, meublé de portiques et de structures métalliques qui reconstituent un laboratoire où commencent de déroutantes expériences. Vêtus de combinaisons et juchés sur des cothurnes, ces sortes de soldats, ces ouvriers sortis d’un film muet parlant du taylorisme, partent en quête des enfants qui en barboteuses immaculées, sont des pantins entre leurs mains, des pages blanches à réinventer. La transmutation de la matière peut commencer. Une heure durant, petites filles et petits garçons passent du vivant à l’inerte et inversement.
Loin d’être anodine, l’expérience dérange. Conte pour enfants ou fable pour adultes, la question est là. Inquiétant rituel ou réinterprétation du mythe permettant à chacun de se conformer à un idéal avant de retrouver une identité propre, Alice Laloy s’inspire autant de l’histoire de Pygmalion et Galatée, que de Frankenstein et sa créature. Empruntant à Castellucci son esthétisme radical et aux marionnettistes leur art sans pour autant utiliser aucun pantin, elle nous secoue, nous interroge et questionne notre manière d’appréhender l’enfance, avec en fond, les affaires de pédophilie et de maltraitance. S’éloignant des histoires de princesses et des contes de fées qui ont construit notre imaginaire, elle suit d’autres chemins, invente d’autres façons de grandir à l’aune des temps modernes, et compose un poème noir d’une rare beauté.
Pinocchio(live)#2 d’Alice Laloy, Théâtre National Populaire – Villeurbanne, du 12 au 14 avril