Alors que s’ouvre cette semaine le Festival de Pâques qu’il dirige et au cours duquel il jouera, Renaud Capuçon nous raconte ses prochains défis. De Beethoven à Messiaen, le violoniste ne perd pas le goût du risque.

On a dit autrefois de lui qu’il était sérieux. Et c’est vrai qu’il se présente en garçon sage, malgré la quarantaine entamée, lorsque nous nous retrouvons un matin, tôt, chez Carette, sur cette place du Trocadéro à deux pas de chez lui. Renaud Capuçon s’amuse de cette image lisse : « Quand j’étais jeune, on me reprochait de ne pas être assez « artiste », et de ne pas faire la fête. Mais être un grand musicien n’a rien à voir avec boire du whisky jusqu’à quatre heures du matin ! Peut-être pour un compositeur, mais l’interprète s’apparente à l’athlète. Il doit être en parfaite forme sur scène, il doit être à la hauteur, au moment T. Et croyez bien que les jours où j’ai fait la fête la veille, je ne joue pas bien le lendemain ! » Pour Capuçon, l’aventure est ailleurs : passer d’Alban Berg à Mozart, de Beethoven à Messiaen, du Chevalier de Saint-Georges à Wolfgang Rihm, tel est le mouvement de l’inépuisable désir qui le tient.   « Je pourrais rester sur le même répertoire, mais je deviendrais fou. Renouveler son répertoire, c’est comme choisir, chaque jour, de ne pas accomplir le même trajet, vous comprenez ? Il y a des gens qui ont besoin de faire toujours la même chose, et d’autres, comme moi, qui aiment changer. Par exemple, j’aime faire des créations. C’est beaucoup d’effort, de travailler avec le compositeur sur quelque chose qui n’existe pas, mais c’est ce qui me régénère. Je sais qu’un certain nombre de musiciens, à mon âge, se disent qu’il est temps de se reposer, qu’ils ont déjà beaucoup donné, et je le comprends, mais je ne peux pas être d’accord. »

Son Himalaya

Lui, l’enfant de la montagne, grandi à Chambéry, a une nature d’alpiniste, cherchant sans cesse de nouveaux sommets à conquérir. Ainsi, dès dix-sept ans, le jeune Savoyard se retrouve dans l’orchestre de Claudio Abbado à Berlin. Puis très vite, devient l’une des figures de la musique de chambre, et enfin, Renaud Capuçon, tel que nous le connaissons tous.

Alors, aujourd’hui, il pourrait en effet demeurer l’interprète du violon romantique, le grand nom français qui passe de scène en scène pour jouer Mozart, ou le concerto pour violon de Beethoven, son grand œuvre, qu’il interpréta notamment sous la direction de son camarade Daniel Harding, en 2017, à la Philharmonie : « Ce concerto reste mon plus grand défi. C’est à chaque fois, gravir l’Himalaya. Ce ne sont que des gammes et des arpèges, le violon est hyper-exposé jusqu’à la fin. Et puis il y a une tradition pour ce concerto, il n’y a aucune triche possible. Non pas que je triche, mais enfin, à la moindre fausse note, là, tout le monde le remarquerait. Et puis il y a une noblesse dans cette musique, que je commence seulement à comprendre avec l’âge. Si l’on se sent étriqué, rabougri, on ne peut pas jouer ce concerto. La musique est très associée à ce que l’on est, à ce que l’on devient. »

Il nous décrit la vie qu’il mène, donnant plus de cent concerts par an, dirigeant deux festivals parmi les plus prestigieux d’Europe, Pâques et Gstaad, un orchestre, l’Orchestre de Chambre de Lausanne, et toujours, cherchant à retrouver cette ressource première, le lien à la musique, essayant de ne pas se perdre dans les lumières qui l’entourent. « J’ai vu des musiciens jeunes, jouer merveilleusement. Et puis tout d’un coup, se transformer, parce qu’ils tombaient dans le showbiz, dans la facilité. Ils recherchent des effets, travaillent moins. On l’entend tout de suite. Entre l’interprétation d’un musicien et ce qu’il est dans la vie, il y a une feuille de papier à cigarette. Il y a des gens, dès que la lumière se pose sur eux, qui pêtent un câble. Et d’autres pour qui ça ne change rien. Je fais partie de ces gens-là : j’ai aujourd’hui le même trac qu’à dix-sept ans. Quand on est vraiment amoureux de la musique, la lumière n’a pas tant de conséquences. Demain, si je brillais un peu moins, ça ne changerait rien à mon amour de la musique. Rien. Pour moi, c’est ça l’artiste, il a une passion, passe sa vie à la modeler, la reconnaissance agit finalement peu sur lui. »

Messiaen au camp des Milles

L’un de ses prochains sommets sera le Festival de Pâques en avril. L’affiche de 2022 ne déçoit pas : Martha Argerich, avec qui il joua à Gstaad en 2021 une impeccable Sonate à Kreutzer, Marie Joao Pires qui viendra jouer Mendelssohn, Mozart, Schumann, avec l’orchestre de Monte-Carlo, Stéphane Degout, Raphaël Pichon, Nelson Goerner, et, en ouverture, Barbara Hannigan et Christian Tetzlaff pour le Requiem de Mozart. « Deux personnalités, dont un violoniste que j’admire profondément, et qui ne me ressemble en rien. Barbara Hannigan est une immense musicienne. Certes, c’est une femme, mais je n’ai aucune envie d’inviter quelqu’un parce que c’est une femme… Je comprends ce désir de parité, ça part d’un très bon sentiment, comme la diversité, mais je ne veux pas tomber dans un excès. L’idée des quotas dans l’art me pose un vrai problème. Ce qui se passe aux Etats-Unis est complètement excessif. »

 Il évoque les jeunes musiciens qu’il va inviter au festival de Pâques : « Je suis ébloui par leur technique, il faut dire qu’ils ont accès à toute la musique du monde en un seul clic. Mais, comme souvent, ils doivent approfondir et prendre connaissance de ce qui s’est fait bien avant eux… » Défi majeur, il se lancera au cours du festival de Pâques dans Le Quatuor pour la fin du temps, de Messiaen, dans un endroit très précis, près d’Aix : le camp des Milles, où furent réunis les Juifs de la zone libre, avant d’être envoyés dans les camps de la mort. Renaud Capuçon nous dit son émotion à jouer dans un lieu si empreint de mémoires.  « L’œuvre de Messiaen a presque cent ans aujourd’hui, elle a été créée en 1944, c’est du patrimoine historique. C’est bouleversant de la jouer là-bas ».

Alors, pour ce type de sommet, comment se prépare-t-il ? « J’ai tellement écouté de musique quand j’étais jeune, que j’ai fait des stocks d’interprétations. J’aborde l’œuvre toujours de façon organique, essayant de comprendre comment le compositeur l’a écrit, pour quel violoniste, et ensuite, je la réinscris dans mon univers naturel. Mais le point limite, c’est quand l’ego de l’interprète prend plus de place que celui du compositeur. Il ne s’agit pas de disparaître derrière l’œuvre, mais quand je joue Beethoven, je veux que l’on entende Beethoven en premier. » Et en second, l’alpiniste-interprète qui gravit son sommet, sans jamais être à court de souffle.

Festival de Pâques, Aix en Provence, du 8 au 24 avril. Plus d’infos sur https://festivalpaques.com