À la Colline, le metteur en scène catalan Oriol Broggi rend hommage, avec 28 i mig, au cinéma de Fellini à travers une fresque onirique et burlesque.

Depuis quelques jours, la compagnie la Perla 29 a investi le grand plateau de la Colline. Venue de Barcelone, où elle a posé ses valises depuis 2006 dans un lieu très atypique, une magnifique cave voutée devenue théâtre, s’inspirant ainsi de la philosophie de Peter Brook et de son compagnon de route Jean-Guy Lecat, qui consiste à s’approprier un espace, lui donner une autre vie, la troupe reprend 28 i mig, spectacle créé en 2013 à partir d’improvisations collectives. « Cette pièce est née, explique Oriol Broggi, à un moment de doute, où nous ne savions pas quoi monter, quoi faire. Plutôt habitués à travailler des textes classiques ou qui ont dans leur dramaturgie quelque chose de classique comme ceux de Molière, Garcia Lorca ou Wajdi Mouawad, nous avons, depuis plusieurs années, commencé à nous intéresser à d’autres médias comme la vidéo et la musique. Souhaitant mélanger dans une même œuvre La Divine Comédie de Dante avec un moment chanté, dansé, nous avons imaginé une œuvre qui soit nourrit d’influences théâtrales italiennes, françaises, mais aussi cinématographiques. Après avoir vu Nine, adaptation peu convaincante à mes yeux de Huit et demi de Fellini, j’ai eu l’intuition qu’il y avait dans le long métrage original tous les éléments que nous souhaitions aborder, la question de l’identité, où sommes-nous ? etc. » Loin d’une simple reprise de répertoire, la version 2022 est une revisite de ce spectacle singulier qui conjugue les arts, entremêle les langues et invite à une rêverie éveillée, une balade au cœur d’une œuvre multiple ».  

Quand on pénètre dans la grande salle, plongé dans le noir, on quitte le gris parisien pour le jaune ensoleillé de l’Espagne, les rouges mordorées de l’Italie. Sur la scène recouverte de sable et transformée, selon l’imagination de chacun en arène, manège équestre ou en piste de cirque, un groupe de musiciens joue une rumba, un funambule perché sur une barre de métal les accompagne au saxophone, une danseuse en tutu traverse le plateau à vélo, un cheval fait son entrée, un curé donne une bénédiction sibylline à deux religieuses à genoux, des amants s’enlacent, un couple de mariés se joint à cette joyeuse et folle farandole. De dos, assis sur un fauteuil de bois, un homme les observe, absorbé par les images qui défilent devant ses yeux, est-ce un double de Fellini, de Guido, le personnage principal du film Huit et demi ou de nous-même ? Avec beaucoup d’ingéniosité, Oriol Broggi et sa troupe nous embarquent dans une mise en abyme, du théâtre, mais aussi du cinéma et de la fiction. Tout est faux, tout est vrai. Tout est pensé comme une fresque, une succession d’images composant par impressions un récit où se mélangent joyeusement poèmes, pas de danse, cirque, plans séquences et citations empruntées à Dante, Ettore Scola, Bergman, Tchekhov et même Wajdi Mouawad. « Avec la troupe, raconte le metteur en scène, nous souhaiterions rendre hommage à tous les arts vivants, au cinéma et visiter ainsi à notre manière Amarcord, Roma, mais aussi Six personnages en quête d’auteur ou le rêve d’un poète de la région de Valence de visiter l’Italie. » Sous le regard noir intense d’Anna Magnani, louve romaine pour Fellini, Oriol Broggi dirige avec une belle complicité, comédiens et artistes, les emmène dans une quête éperdue à la recherche du bonheur. En conjuguant avec virtuosité, extravagance et excentricité, Movida et dolce vita, les répétitions de 28 i mig ont permis d’oublier grâce à la magie du jeu, de la scène, un temps la guerre qui sévit aux portes de l’Europe. Un moment suspendu qui promet de belles et oniriques soirées à la Colline ! 

28 i mig d’Oriol Broggi, à la Colline – théâtre national, jusqu’au 10 avril.