Dans le cadre de la saison France-Portugal, le MUMA du Havre invite la photographe Manuela Marques pour un voyage au centre de la terre, sur l’archipel mystérieux des Açores. 

De ce bleu violacé, embrasé, aux palpitations incandescentes, la montagne s’élève en surplomb d’une mer tropicale. Le Paysage de Te Vaa éclate d’une chaleur volcanique au milieu de la riche collection de peintures du musée du Havre. L’horizon haïtien de Paul Gauguin mêle le sublime insulaire à l’un de ses corollaires, l’inquiétude atmosphérique. Aux Açores, la photographe Manuela Marques a ressenti cette même puissance des éléments naturels. Partie en résidence artistique en 2018 sur cet archipel balayé par le vent au large du Portugal, elle a marché comme une vulcanologue sur les flancs noirs de cette épine dorsale océanique, constituée de neuf îles sous lesquelles sourd une tumultueuse activité volcanique. La dernière grande éruption, ravageuse, date de 1957. Des secousses ont redessiné le paysage, craquelé le territoire. En s’intéressant aux archives de ce séisme – anciennes feuilles d’enregistrement de ses répliques ou éléments soudainement surgis de terre – Marques a observé cette vie tellurique, captant dans son objectif l’agitation tempétueuse des vagues, l’irradiation blanche du soleil sur les scories fuligineuses, la course ombrée des nuages. Ses photographies content le récit d’une tension apocalyptique en suspens, fragile état d’accalmie avant le prochain déchaînement. Dans le scintillement sélénite de la pleine lune, se découpent les lignes des récifs et brille la flaque de l’océan, miroir du ciel dont la perfection met fin à toute rivalité esthétique.  

Déjà invitée en 2008 par le musée pour capter l’intimité des appartements havrais d’Auguste Perret, l’artiste franco portugaise regarde cette fois vers l’océan, mais c’est en quelque sorte ses murmures intérieurs qu’elle tente de nous livrer. Son exposition conçue comme une exploration débute avec un paysage aux accents romantiques – « hommage à Friedrich » confesse-t-elle. Une silhouette humaine, de dos, se tient debout au bord d’un précipice vert d’algue. A moins que ce ne soit une étendue d’eau ? Non, il s’agit bien du cratère d’un volcan éteint envahi par une végétation luxuriante. Le regard de la photographe, et le nôtre, basculent. Illusion d’optique – chère à l’artiste – que l’on retrouve dans neuf photographies assemblées, semblables à des clichés satellites, construisant ce qui s’apparente à une cartographie. Il s’agit de détails de roches volcaniques évoquant la grande éruption du Capelinhos, sur l’île de Faial, d’une telle force qu’elle avait fait naître une nouvelle bande de terre. L’imagination de l’artiste recrée cette petite Atlantide et quelques-uns de ses trésors, à l’exemple de ce coquillage dont la nacre rutile si finement que le cliché confine à la touche des natures mortes flamandes. Chez Marques, la photographie, par essence figée, prend vie, devient elle-même phénomène. Fantasme de l’invisible, de l’imperceptible. Jusqu’à la vidéo montrant une merveilleuse tache de soleil se reflétant dans l’eau cristalline, de plus en plus envahissante, aveuglante, métaphore de l’entrée en fusion des quatre éléments. Sur la faille. 

Manuela Marques, Répliques, jusqu’au 8 mai 2022, Musée d’art moderne André Malraux – MUMA Le Havre, muma-lehavre.fr