Le Frac Franche-Comté se penche sur l’art de la performance. De l’élan poétique à la résistance politique.

A perdre haleine. Soit l’envie d’imiter Anna Karina, Claude Brasseur et Sami Frey courant à travers le Louvre, déterminés à battre le record de 9,45 minutes supposément détenu par l’Américain Jimmie Johnson. Cette séquence mythique de Bande à part de Godard a été reprise par Bertolucci dans The Dreamers. Et c’est son interprétation par l’artiste Mario Garcia Torres qui nous accueille à travers une vidéo tournée dans un musée mexicain. Le ton est donné. Notre corps va être mis à contribution – voire à l’épreuve. Nous allons chanter, danser, écouter, manipuler. L’art sera mouvement car l’art est la vie. « Life like art » haranguait le premier chantre du happening Allan Kaprow, inspiré par le philosophe pragmatiste John Dewey dont l’essai fondateur de 1934 Art as experience regrettait la fracture entre l’art et le public. De cette critique de l’institution muséale, de l’activisme anti-guerre du Vietnam de Yoko Ono, de l’esprit subversif de Fluxus dans la lignée de Dada et Duchamp, va naître ce qu’on appelle communément l’art de la performance. Peu pénétrable car éphémère à tendance conceptuelle, expérimental, pluridisciplinaire, souvent transgressif, il n’est pas simple d’en dessiner les contours. Le Frac nous en livre une vision ambitieuse et transversale à travers une cinquantaine d’œuvres de sa collection. Soixante ans de métamorphoses et de filiations interpellant nos façons de penser la liberté individuelle et collective.

En point de départ, comme manifeste de la résistance aux idées reçues, la marche contre le vent qu’effectue en 1976 le collectif japonais The Play et qui donne son titre à l’exposition. Geste utopique, absurde même, infiniment poétique, que l’on retrouve chez Régis Perray balayant en vain le sable des routes égyptiennes ou Éric Baudelaire nous léguant un morceau de pellicule du dernier film, inachevé, de Cinecitta… Le ballet du corps s’engage. Les 105 clichés du chorégraphe Xavier Le Roy pareils à une chronophotographie contemporaine déclinent les poses successives d’une danse, habillée puis nue. En rythme, devant la machine de la Compagnie Labkine, on apprend par mimétisme une chorégraphie de Jean-Claude Gallota. Le geste, ludique, devient rituel, politique : du visage de Marina Abramovic, ourlé d’un serpent, monte une incantation shamanique obsédante, sous les pas de la franco bosniaque Maja Bajevic, renaît le plan de son appartement de Sarajevo perdu pendant la guerre. « Les choses modestes deviennent magiques » perçoit Sylvie Zavatta, directrice du Frac. L’idée peut-être « d’une certaine poésie dans l’espace qui se confond elle-même avec la sorcellerie » chère à Artaud. La performance devient alors comme le « dernier cri avant notre silence éternel ». Ceci était l’ultime message en morse envoyé en 1997 par la marine française avant le passage au numérique. S’en inspirant, Angelica Mesiti en fait une des plus belles performances sensorielles de l’exposition où le corps devient le traducteur privilégié de nos émotions.

Exposition Aller contre le vent, performances, actions et autres rituels, jusqu’au 30 avril 2022, Frac Franche-Comté Besançon, frac-franche-comté.fr