Après l’avoir créé dans sa maison marseillaise et joué aux Bouffes du Nord à Paris, Macha Makeïeff présente sa vision très pasolinienne de Tartuffe au TNP de Villeurbanne. 

Ça swingue chez Orgon. Le chat étant parti faire quelques affaires en province, les souris, libérées des diktats très austères du patriarche, s’amusent, rient, mettent la musique à fond, se livrent à quelques folles orgies. La luxure règne, le temps d’une soirée, sous le regard courroucé de Madame Pernelle, mère du chef de famille. Particulièrement furieuse de la conduite de sa Bru, la sympathique Elmire, de ses petits-enfants, le fougueux Damis, la romantique Marianne, vêtue de sa surannée pudibonderie, la douairière du clan, incarnée par le soprano Jean-Marie Lévy se lance dans une diatribe furieuse, chante à chacun son lot de vérité bien senti et loue son fils d’avoir fait rentrer dans cette bergerie fort dissipée, Tartuffe, un homme de foi en apparence, un dévot comme il faut, qui devrait mettre un peu d’ordre dans ce beau foutoir.

Le décor est planté. Pris de remords, de regrets, rêvant de gagner sa place au paradis, Orgon, vieillissant, souhaite se repentir et par la même occasion rendre vertueuse toute sa maisonnée. Irascible, envoûté, il laisse Tartuffe le mener par le bout du nez et refuse d’entendre le moindre reproche à son sujet, quitte à mettre en danger son foyer. « Mon envie de monter cette pièce de Molière, explique Macha Makeïeff, est née d’une insatisfaction. Je trouvais qu’il manquait toujours un petit quelque chose qui m’empêchait de la comprendre tout à fait. J’ai donc voulu me frotter à cette résistance. En la lisant, la relisant, il y a eu comme une évidence. J’ai vu Théorème de Pasolini s’esquisser en filigrane. Tartuffe est un envoyé psychique, historique et politique, qui va révéler à chacun sa part trouble, sa part d’ambivalence. »Tout comme Ivo Van Hove au Français, la directrice de la Criée trouve, par cette approche, une autre manière de présenter le plus fameux imposteur de la littérature française, de lui donner une densité autant sensuelle que vampirique.

Vêtu de noir, regard exorbité d’illuminé, Xavier Gallais, obséquieux, cannibalise la maison d’Orgon, pour mieux s’approprier femme, bien et fortune. « Il est comme une menace tapie dans l’ombre, souligne Macha Makeïeff, un vrai héros de roman noir politico-religieux. Il est le catalyseur de la dissension qui règne au sein de la famille d’Orgon entre libertins et faux dévots. Sorte de garant d’une police des mœurs très stricte, il charme pour mieux redéfinir les règles de vie, imposer à tous une vie quasi ascétique. D’où, l’idée, bien au-delà de ma première vision pasolinienne, de faire de Tartuffe le gourou d’une secte. » 

 S’appuyant sur une scénographie esthétisante, sur les lumières ciselées par Jean Bellorini, Macha Makeïeff signe un spectacle noir. Le temps devrait faire son ouvrage, instillé à l’œuvre de Molière le regard de la metteuse en scène et faire de ce classique, dont six versions seront présentées cette saison, un moment important de cette année de célébration.

Tartuffe de Molière, Un spectacle de Macha Makeïeff, au Théâtre National Populaire de Villeurbanne, du 3 au 19 mars 2022 

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