Les prodigieuses effusions colorées de Wang Yan Cheng sont accrochées chez Lelong. Inratable !

Il faisait, on le sait, « profession de choses muettes », Nicolas Poussin, ce Poussin qu’au rapport de Jean-Paul Desroches, qui lui a consacré un petit texte sensible, affectionne le peintre Wang Yan Cheng. Pour autant, à cheval entre la Chine et la France, entre ces deux foyers effervescents de littérature, l’oriental et l’occidental, les tableaux de Wang Yan Cheng donnent l’insistante impression de rompre le vœu de silence de Poussin. Ces tableaux, que rien n’historie, dont aucun récit, hors celui qu’y mettra l’œil du spectateur, n’adultère la triomphante matérialité, ces tableaux qui semblent divorcés du mot, semblent, paradoxalement, emprunter aux arts du verbe leur puissante expressivité. 

Patrick Grainville, dans un de ces textes où il y a, comme aurait dit Edmond de Goncourt, des « envolements de poète » et de la « lucidité de somnambule », rappelait les affinités de la peinture de Wang Yan Cheng avec la surface d’un mur, « chargé de réminiscences historiques, de dessins, d’impacts, d’écritures, de trous ». Quand le pan se fait page… Et les rugosités que mettent les saillies de la matière, éperonnant la surface du tableau, ne la ponctuent-elles pas, cette page ? Et là, ce lacis blanc qui flanque obliquement une masse centrale vineuse, éclaboussée d’un jaune radieux, ce n’est pas le repentir amorphe d’un contour qui se serait entortillé, mais quelque chose comme un tissu conjonctif qui retient, coordonne et articule l’exubérance du violet, de l’orange et du cobalt. Comme un texte enchâsse, dans ses enchaînements et ses transitions, ses plus belles images.

Il y a du Fautrier, du Eugène Leroy, chez ce peintre qui dit aimer Rothko et Twombly, et certes, chez lui aussi, la couleur est éloquente. Voici une puissante nuée vermillon, encochée de zones claires où du rose s’est déposé dans les reliefs striés du blanc ; en haut, à gauche, une petite portion du tableau, d’un vert d’eau comme obscurci par un ciel assombri ; en bas, à gauche toujours, un blanc tout fibrillé comme une peau à la carnation subtile où les veinules transparaîtraient… Tension des proportions inégales, revendications violentes de tel chromatisme, soumission timide de tel autre, qui semble si vulnérable : c’est là toute l’éloquence de la composition dramatique. 

Plus loin, c’est à l’écriture poétique qu’on songe devant des tonalités de glaise à la Zao Wou-Ki. Mouchetures et éphélides essaiment sur une partie au contour renflé, avant que l’application d’une touche plus robuste ne donne ici et là l’impression du relief des spires d’un tourbillon ; en haut, la palette semble avoir été prise de fièvre, et un coup de jaune franc se résout en une désagrégation des bleus et des verts. La discontinuité paraît gouverner en maîtresse. Mais les solutions de continuité, les taches, les résidus colorés, égarés, projetés, hors des masses auxquelles ils devraient s’agréger : tout cela détermine des jeux de rappels, des récurrences. L’art du peintre est celui du versificateur.

Wang Yan Cheng, Peintures, galerie Lelong & Co., jusqu’au 12 mars

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