À Chaillot, la Biennale d’art flamenco présente la nouvelle création de Rafaela Carrasco, sur les traces des mythes qui nous constituent.
Au fil des siècles, le sort d’Ariane, fille du roi Minos, a fait couler beaucoup d’encre et de peinture… Si bien qu’entre les différentes versions de son histoire, relatant sa rencontre avec Thésée, sa déception et sa solitude – sur l’île de Naxos ou de Dia, c’est selon – on a vite fait de perdre le fil. Si en plus, la Crétoise est embarquée en direction de l’Andalousie et se met à danser le flamenco, on pourrait nourrir des visions selon lesquelles le Grand Bouc de Goya se mettrait à dévorer de jeunes Madrilènes dans le labyrinthe de l’Alhambra. Mais Rafaela Carrasco promet de tisser son récital en restant « al hilo del mito » : sur le fil du mythe. « Une île, une illusion, un labyrinthe, un monstre, un fil qui marque le chemin. Ariadna est la chronique émotionnelle d’un voyage à l’intérieur de nous-mêmes, de nos peurs et nos désirs ancestraux », dit la Sévillane. Par la danse flamenca, le chant, la musique et la poésie elle lance un fil en direction de nos labyrinthes intérieurs, à remonter pour mieux retrouver notre liberté. L’idée n’est ici pas de livrer un récit chanté, mais de suivre la structure d’une tragédie grecque, de s’identifier à l’héroïne tragique et de danser un flamenco qui touche directement à nos peurs, nos terreurs, nos rêves et la volonté de nous libérer. L’amour, la solitude, la rébellion inspirent une danse du cœur, à fleur de peau, qui n’a plus besoin de passer par les codes de la tradition sévillane. Dans cette danse, le flamenco est le point d’arrivée, le terrain de la liberté finale. Face à la Carrasco, huit hommes : Quatre danseurs, deux chanteurs et deux guitaristes. Mais les danseurs valent musiciens, puisqu’en Andalousie, les simples paumes de la main (palmas) sont déjà un instrument de musique.
Si Carrasco emmène Ariadne sur les terres andalouses, ce n’est pas pour l’enfermer dans son histoire, mais pour la révéler « mythique, quotidienne et éternelle ». Régulièrement, elle évoque dans ses spectacles des femmes qui ont marqué l’histoire. Dans sa création précédente, Nacida sombra (Née ombre), elle se penchait sur quatre femmes emblématiques du Siècle d’Or espagnol, à savoir Sainte-Thérèse d’Avila et deux femmes de lettres (María de Zayas et Juana Inés de la Cruz) ainsi qu’une comédienne (Maria Calderón ou La Calderona). Grandes figures, grands destins. Et toujours ce rapport à l’écriture, aux œuvres et aux mythes. Aussi est-elle l’une des personnalités du flamenco qui en font un genre dramatique à part entière, un langage d’autrice et d’auteur, sur une voie ouverte il y a quarante ans par le légendaire Antonio Gades avec ses premiers grands ballets narratifs, Noces de Sang et Carmen. De la femme, Carrasco ne façonnera pas une figure mythique pour l’ajouter aux fantasmes masculins. Au contraire, elle part du mythe pour commenter la réalité de notre époque. C’est donc avec Ariadna [al hilo del mito] qu’elle a l’honneur d’ouvrir cette manifestation flamenca à Chaillot où se succèdent six programmes, dont cinq spectacles de danse et un concert, au fil de la cinquième édition de cette biennale.
Ariadna [al hilo del mito] de Rafaela Carrasco. Du 3 au 6 février 2022. Dans le cadre de la Cinquième Biennale d’art flamenco du 3 au 18 février 2022. Chaillot Théâtre National de la Danse. Informations et réservations en suivant ce lien.