Pierre Meunier et Marguerite Bordat explorent dans  Bachelard Quartet  l’univers du philosophe Gaston Bachelard avec le soutien de Noémie Boutin au violoncelle et Jeanne Bleuse au piano. 

Poète du théâtre, Pierre Meunier a le goût des aventures qui sortent de l’ordinaire. S’il fallait lui trouver un surnom cela pourrait être Goudurix comme le personnage d’Astérix. En effet quand il ne fait pas des voyages en apesanteur ou plonge la tête la première dans des bassins remplis de boue, quand il ne donne pas des conférences avec, suspendu au-dessus de sa tête, un sac plein de gravats prêts à s’effondrer, il poursuit inlassablement ses recherches sur la matière, les éléments et plus largement sur le monde qui l’entoure avec toujours le même étonnement doublé d’un délicieux sens de l’humour. 

En 1990 alors qu’il travaillait sur un spectacle de la Volière Dromesko, Pierre Meunier a ouvert pour la première fois L’Air et les songes de Gaston Bachelard. Depuis la compagnie du philosophe ne l’a plus quitté, au point de lui consacrer aujourd’hui avec Bachelard Quartet une nouvelle création en forme de promenade rêveuse dans l’œuvre foisonnante de ce disciple lointain des présocratiques, marqué aussi par le symbolisme et les romantiques allemands. Méditer, observer, rêver, ces trois activités, qu’importe l’ordre dans lequel elles se manifestent, ont dans la démarche de Bachelard un rôle d’autant plus déterminant qu’il y associe une liberté d’esprit qui semble sans limites. C’est cette liberté primesautière qui charme d’emblée dans ce spectacle conçu avec la complicité de Marguerite Bordat. On ne sait  jamais s’il est question de saisir l’œuvre du philosophe poète ou de s’y perdre au contraire – un peu des deux, sans doute. Les réflexions de Bachelard ont cette particularité de suggérer une possibilité de les poursuivre, d’aller encore plus loin, comme si le langage pointait toujours vers un au-delà des mots. 

La présence, non seulement de la musique, mais de deux musiciennes sur le plateau est à cet égard essentielle. Aux côtés de Pierre Meunier, lequel souffle à l’occasion dans un trombone ou triture l’intérieur d’un piano, Noémie Boutin au violoncelle et Jeanne Bleuse au piano ne se contentent pas de jouer de leur instrument, mais sont des performeuses à part entière de cette création de théâtre musical. Il est d’ailleurs frappant de voir comment la musique apparaît ici dans sa matérialité parfois presque brute, mais aussi sensuelle, aussi bien sur le plan sonore qu’en ce qui concerne les gestes des instrumentistes. Entre les mots de Bachelard et la partition, il n’y a jamais concurrence, mais dialogue. Un dialogue souvent teinté d’humour. Que ce soit les pizzicato, les glissando, le frottement de l’archet sur les cordes ou encore la façon dont le ventre du piano est mis à contribution pour en tirer des sons organiques, voire des bruits divers – coups de marteau, échos de la nature et autres distorsions bruitistes – comme si la musique devait rendre compte du chahut du monde. Dada n’est pas loin. Mouvement artistique dont Bachelard fut le contemporain, sinon le participant. 

Parfois on se réfugie sous le piano comme des enfants qui se cachent sous une table. L’enfance est un thème majeur dans cette exploration tous azimuts des pistes tracées par Bachelard à coups de métaphores et d’intuitions inspirées. « Il n’est pas impossible que le moulin fasse tourner le vent », énonce tout à trac Pierre Meunier. En une seconde le monde est sens dessus dessous. Tout est affaire d’imagination. Bachelard : « On veut toujours que l’imagination soit la faculté de former des images. Elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images (…) Grâce à l’imaginaire, l’imagination est essentiellement ouverte, évasive, expérience même de l’ouverture, de la nouveauté. » Une fête de l’imaginaire, voilà à quoi nous invite ce très beau et charmant voyage musical dans l’œuvre du philosophe.

Bachelard Quartett, d’après Gaston Bachelard, par Pierre Meunier, Marguerite Bordat, Noémie Boutin, Jeanne Bleuse. Du 20 au 27 janvier au Nouveau Théâtre de Montreuil, Montreuil (93).

Et aussi de Pierre Meunier : Au milieu du désordre les 29 et 30 janvier et La Bobine de Ruhmkorff les 4 et 5 février au théâtre de l’Aquarium, Paris (75012) dans le cadre du Festival Bruit.