Avec son regard précis et discret, Mahamat Saleh Haroun observe le combat d’une mère et de sa fille pour la liberté d’avorter. Lingui, les liens sacrés, un film esthétiquement et politiquement juste.

Peu remarqué dans le tintamarre de la foire aux vanités cannoise, Lingui, les liens sacrés est pourtant un film superbe. Il ne revêt certes pas les attributs bruyants et voyants de Titane, c’est même tout le contraire, tant le style de Mahamat Saleh Haroun est discret, épuré, presque murmuré. La beauté, lorsqu’elle est une force tranquille, semble hélas moins toucher les gens en une époque où il faut hurler, surligner, simplifier, « choquer » pour se faire entendre. Rien d’évènementiel ni de spectaculaire chez Haroun, simplement la patiente et juste attention d’un regard ni fade ni esthétisant. Pour le comprendre, il ne faudrait pas lire cette critique mais regarder comment Haroun filme une jeune femme en train de confectionner un panier avec du matériel de pneus de récupération, comment il saisit la lumière de N’Djamena, comment il fait avancer un récit avec des mots, certes, mais aussi des silences et des ellipses qui laissent une part active au spectateur. Il y a dans la conduite du storytelling et de la mise en scène de Lingui… Une maîtrise, une maturité paisible, qui en font peut-être le meilleur film d’Haroun. Mais Lingui… n’est pas qu’un exercice de pure forme. Ce film est également très contemporain de questions actuelles qui agitent nos sociétés et nos débats publics. Pour la première fois, Haroun se focalise sur des personnages féminins, Amina et Maria, une mère et sa fille. La première élève seule la seconde, et quand Amina apprend que Maria est enceinte, c’est la catastrophe : le père est inconnu, élever un enfant seule est financièrement et socialement difficile, voire impossible (Amina entrevoit ainsi en Maria son possible reflet de « fille-mère »), avorter est interdit aussi bien par la loi politique tchadienne que par la loi islamique et le qu’en-dira-t-on. Haroun prend soin de montrer cette pression sociale et patriarcale de proximité, à travers l’imam du quartier qui presse Amina et Maria de revenir à la mosquée, alors qu’un voisin esseulé fait une cour assidue à Amina. Non étrangère aux évolutions des mœurs qui ont cours ailleurs dans le monde, Maria est néanmoins décidée à avorter.

Le film raconte toutes les péripéties, obstacles, ruses et jaillissements de solidarité sororale (la version féminine du lingui africain) que vont rencontrer nos deux héroïnes sur le chemin de la résolution de leur problème. Surtout, Lingui… raconte l’universalité des luttes d’émancipation. Amina et Maria sont des femmes africaines, mais elles ne sont pas « racisées », on est au Tchad. Si elles sont aliénées, ce n’est pas par le mâle blanc mais par le patriarcat tchadien tissé de lois, de religion, d’us et coutumes locaux. Quant à la liberté de disposer de son corps à laquelle aspirent Maria et Amina (le film montrera jusqu’à quel point le destin de la mère et de la fille est lié), c’est au départ une conquête féministe occidentale, d’ailleurs menacée en Pologne ou au Texas. Ainsi, plutôt que d’enfermer dans les subdivisions identitaires sans fin, Lingui… montre que certains combats sont universels. Un film aussi juste esthétiquement que politiquement.

 Lingui, les liens sacrés de Mahamat Saleh Haroun. Avec Achouackh Abakar, Ad Vitam, sortie le 8 décembre

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