Dans  Grief  & Beauty Milo Rau examine avec tact et en s’inspirant de l’expérience des comédiens présents sur le plateau l’ombre portée de la réalité de la mort sur notre existence quotidienne. A voir au Festival Next du 16 au 18 novembre. 

Enfant, Arne a interprété le Petit Prince dans une adaptation théâtrale du livre de Saint-Exupéry. À un moment donné, le héros meurt. Il lui fallait donc à chaque représentation mourir sur scène. En l’écoutant raconter ce souvenir, les partenaires d’Arne dans le spectacle de Milo Rau, Grief & Beauty, lui demandent de leur montrer « sa mort ». Alors devant eux et devant le public, Arne rejoue sa mort en s’écroulant sur le plateau. Etonnament, cette mort factice, cette mort de théâtre non seulement n’a rien d’artificiel, mais par sa simplicité désamorce en quelque sorte la gravité du sujet abordé dans cette nouvelle création du dramaturge et metteur en scène, présentée fin septembre au théâtre NtGent à Gand en Belgique. 

Loin de suggérer que mourir serait une franche rigolade, Milo Rau replace la vie dans la perspective de sa finitude en s’appuyant sur l’expérience des protagonistes de cette création. À peine dans la salle, le public est accueilli par le visage bienveillant d’une femme âgée en gros plan sur l’écran qui surplombe le plateau. Tandis que les comédiens s’installent – l’un d’eux se change pour enfiler un pyjama à rayures –, on devine que ce visage filmé n’est pas une présence ordinaire. On apprend bientôt que la personne qui nous regarde ainsi a quitté ce monde le 28 août, le lendemain de ses quatre-vingt-cinq ans. Elle s’appelait Johanna, le spectacle lui est dédié. 

« La vertu de l’esprit / Est cette émotion / Qui oblige / À voir », écrit le poète George Oppen. Par touches discrètes tirées de l’expérience des personnes présentes sur le plateau – mais aussi de celle de Johanna –, Milo Rau suscite cette émotion qui, loin de l’emphase souvent de mise quand on parle de la mort, donne à éprouver le plus simplement du monde les détails qui font le sel de la vie. Dans un décor reproduisant trois pièces d’un appartement, avec la salle de bain, la chambre dotée d’un lit médicalisé et la cuisine, les acteurs évoquent souvenirs et anecdotes parfois drôles, parfois heureux, parfois douloureux. 

Il y a Staff Smans, né en 1949, qui après avoir travaillé comme comptable est devenu acteur à l’âge de soixante ans. Alors qu’il récite la scène du cimetière dans Premier amour de Samuel Beckett, il s’effondre pris d’un malaise. Il y a Anne Deylgat qui parle de sa fascination pour les loups et en particulier pour leurs cris – qu’elle imite d’ailleurs très bien. Elle explique que ce hurlement lugubre n’est pas aussi triste qu’on pourrait le croire, mais au contraire plein d’espoir. Il y a Arne De Tremerie qui raconte son enfance avec sa mère malade. Il y a Princess Isatu Hassan Bangura née en Sierra Leone où elle a vécu jusqu’à l’âge de douze ans avec son père avant de rejoindre sa mère à Rotterdam. 

C’est elle qui fait le lien avec Johanna dont on apprend, entre autres, qu’elle a été mariée deux fois, qu’elle avait quatre ans quand Rotterdam a été bombardée. Mais aussi qu’elle aime la musique, laquelle est très présente dans le spectacle et plus précisément la Lamentation du Enée et Didon de Purcell interprétée au violoncelle par Clémence Clarisse. Pour mettre fin à ses souffrances, Johanna a choisi de mourir par euthanasie et a accepté que sa mort soit filmée. Le fait d’assister à ce moment à la fois terriblement émouvant et curieusement peu spectaculaire a quelque chose de troublant. Les derniers mots prononcés par Johanna, son sourire apaisé, les mains posées sur elle par ceux qui l’accompagnent, sa volonté, qu’après coup, on boive du champagne en écoutant Frank Sinatra chanter « I did it my way » offrent une paradoxale leçon de vie. Elle comprend, dit-elle qu’on soit triste, mais elle ajoute : « pas de drame ». Ce « pas de drame » alors qu’à l’écran, l’image a disparu résume parfaitement l’enjeu de cette approche à la fois délicate et ultrasensible de la fragilité constitutive de la condition humaine. 

Festival Next, informations à retrouver ICI.