À voir, à Tours ce weekend, la dernière création de Jacques Vincey, Grammaire des mammifères, plongée surréaliste dans la satire de ce que nous sommes. 

Tout commence un peu comme une séance d’hypnose. Après un prélude novarinien dans le hall du théâtre, où les comédiens, mégaphones en main, enchainent les joutes verbales pour nous raconter qui ils sont et ce qu’ils vont jouer, on plonge dans le calme. Derrière un rideau de fils, huit créatures, évoquant à la fois des collines herbeuses et les yétis hirsutes d’Yvan et Petit-Pierre, invitent à écouter, à se laisser guider par leurs voix pour que les mots entrent en nous. Les timbres doux, pénétrants. Ils nous racontent, accompagnés de sons évoquant de lointaines pulsations cardiaques comment ils vont nous pénétrer, comment nous pourrions, nous aussi, entrer en l’autre. Le ton est donné. Le rideau se lève sur une jungle luxuriante qui évoque La Chasse du Comte Karlsoff. Une exploratrice armée d’une lampe frontale nous guide parmi une galerie de créatures plus loufoques les unes que les autres : une créature en chaussettes colorées, mi-femme, mi-araignée, en vison, dont les perruques blanches font penser aux danseuses du Crazy Horse. Une duègne, portant fraise et robe noire, un brin extralucide. Les tableaux surréalistes se suivent, dans une scénographie et des costumes aux couleurs acidulées et vitaminées, sans forcément être reliés. Si ce n’est que tout nous ramène à la question de la représentation. Car ne nous méprenons pas, cette Grammaire des mammifères dont les personnages proposent à « Q.Q.N. » de ressentir « Q.Q.CH », c’est la nôtre.

Ces créatures nous poussent à nous interroger. Qui sommes-nous pour nous juger si durement ? Elles nous préviennent aussi, d’après Lévi-Strauss : « la honte est le sentiment social par excellence ». On y saute à pied-joints. Grâce notamment à Jean-Louis, Jean-Pierre, Jean-Marie ou Jean-Paul, « Jean quelque chose peu importe », qui avoue, au cours d’une séance d’aérobic hyper tonique, ses désirs matériels les plus fous.  Ou via cette garce, BCBG, au bord de la crise de nerfs parce qu’elle ne peut pas toujours s’offrir ce dont elle rêve et déplore qu’a contrario « une moche avec un beau sac ne se rend même pas compte qu’elle est ridicule ». Les personnages font du bien parce qu’ils osent tout : les acteurs, cinq filles et trois garçons (élèves comédiens du Théâtre Olympia de Tours), vont loin avec brio et une énergie vivifiante. Les scènes sont jubilatoires à l’image de cette famille de débiles, dont les membres, lunettes à double-foyer, cheveux hirsutes et accoutrements improbables sont hilarants. Rien de politiquement correct dans ces attitudes mesquines que l’on a tous ressenti. Ce faisant, ce spectacle, pirandellien et d’une irrésistible drôlerie, glisse de nouveau de la scène à la salle. Le texte de Grammaire des mammifères, absurde et foisonnant, est un défi. Il fallait toute la passion de Jacques Vincey pour lui donner vie. Toute la fougue, le talent et le désir de la jeunesse pour la faire vivre. Chacun joue sa partition avec fougue, acidité et souplesse. Entre les Lilliputiens et les Oompa Lumpas de Charly et la chocolaterie ces petites créatures atypiques nous tendent un miroir éloquent. 

Jusqu’au 13 novembre puis du 1 au 4 décembre au TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine. Plus d’informations en suivant ce lien.