Une sublime rétrospective au Petit Palais permet de prendre toute la mesure de l’œuvre d’Ilya Répine, aussi réaliste que majestueuse.

Steppe ou sous-sol, l’imaginaire romanesque russe est affaire d’espace. Est-ce là la nappe phréatique qui alimente et définit la peinture d’Ilya Répine (1844-1900) ? Toujours est-il que ses toiles, dont certaines sont désormais indissociables du climat spirituel de la Russie (Les Haleurs de la Volga, bien sûr, magistrale synthèse du paysage et du peuple), rassemblées à la faveur de cette gargantuesque rétrospective, rappellent avec bonheur et insistance que la peinture est art de l’espace.

Et pas seulement russe celui-ci. En 1873, le jeune peintre, qui vient de donner ses Haleurs de la Volga, véritable événement pictural, encensé ou étrillé pour sa franchise réaliste, arrive à Paris. Là, il absorbe la modernité impressionniste et, rappelle le catalogue, les préoccupations réalistes de celle-ci. Et il peint : son Garçon adossé au mur d’un jardin, Montmartre (1876) a l’indéfini d’un moment d’oisiveté enfantine, mais placé dans une rigoureuse configuration des lieux.

Car Répine, et il le prouve surabondamment à son retour en Russie, a ce rare talent de spatialiser les corps et la vie intérieure. Le grand collectionneur Pavel Trétiakov ne s’y trompera pas. C’est un véritable album de famille de l’intelligentsia russe aux murs du Petit palais. Voici Moussorgski (1881) malade, dans sa robe de chambre d’un triste gris de mur dénudé, mais dont la bordure violacée, qui fait écho à la teinte de brique du nez du compositeur alcoolique, détache avec autant d’efficacité qu’une auréole le visage bien vivant. Voici aussi l’extraordinaire portrait (1882) de l’épouse du peintre au repos sur un fauteuil : le dévalement du tissu pourpre de la robe vers nous fait du corps alangui un chemin de montagne à gravir pour l’œil, jusqu’au visage. On dirait que Répine peint en géographe…

Mais le pays n’est pas seulement métaphorique. Sa peinture, quand elle n’est pas historique (ces Cosaques zaporogues, 1880-1891, auprès duquel les kermesses flamandes sont des réunions de jansénistes) est un sismographe et un miroir. Morceau de bravoure (Procession religieuse dans la province de Koursk, 1881-1883) ou scène pathétique du retour d’un déporté (Ils ne l’attendaient plus, 1884-1888) : Répine, échantillon de « la frange libérale démocratique de la société russe », tourne son regard vers le peuple, et vers ceux qui se sont efforcés de secouer le régime. Un portrait de Kérenski (1917-1918) atteste d’ailleurs la sympathie initiale du peintre pour les révolutionnaires de 1917. 

Mais c’est peut-être un autre espace, une patrie intangible, que Répine saisit encore mieux. Proche de Tolstoï, il fait le fameux portrait de 1887 du comte, les yeux levés de son livre, absorbé par une grave pensée. Et surtout, en 1909, c’est Léon Tolstoï dans un fauteuil rose : regard fixe d’un vieil homme hébété, diminué, mais aussi, comme en écho aux mots, en 1908, de la femme du comte, Sofia Andreïvna, regard d’un homme dont l’« esprit (…) se trouve ailleurs, déjà plus haut ».

Exposition Ilya Répine (1844-1930). Peindre l’âme russe, Petit Palais, jusqu’au 23 janvier 2022

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