Le metteur en scène et dramaturge Joris Mathieu présente En Marge!, spectacle inspiré de Herman Hesse, au Théâtre Nouvelle Génération qu’il dirige à Lyon. Rencontre.

En Marge! se fonde sur la confrontation de deux mondes, notre époque, et le monde rêvé du Loup des Steppes. Comment est née l’idée de cette double temporalité?

C’est sans doute le spectacle pour lequel mon écriture a été la plus progressive. L’origine du projet, c’est l’impact de la lecture du Loup des Steppes, et la manière dont ce livre m’a accompagné pour traverser l’époque contemporaine. J’ai cherché le mode narratif, et s’est imposée cette forme: une tentative de reproduction de ce qu’Herman Hesse avait voulu faire, une autofiction et un état du monde dans lequel l’individu perd ses repères. Le spectacle devait avoir à la fois ce positionnement à l’intérieur du monde contemporain, avec la possibilité de traverser soixante-dix ans de l’histoire contemporaine, via la télévision, le cinéma, la culture pop, les réseaux sociaux, l’impact des nouveaux modes de communication… Et d’un autre côté, cet autre temps qui nous fait entrer dans une autre réalité. Un espace contemplatif, où l’on prend du recul, et où l’on retrouve les traces littéraires du Loup des steppes, mais transformé, puisque j’ai choisi de renforcer la prise de parole du personnage féminin, véritable alter ego du personnage principal. Situer le spectacle dans l’ici et maintenant, et l’intemporalité d’une littérature qui se répète de manière cyclique.

Quelles sont les questions du Loup des Steppes qui selon vous demeurent intemporelles?

Ce n’est pas la dimension initiatique que l’on prête habituellement au roman qui m’a intéressé, ce que je trouve intemporel, c’est la manière dont une société est sur un point de bascule, entre le monde d’avant et le monde d’après. Voilà la raison du titre, «En marge!», dans la sémantique politique actuelle, notamment d’En Marche, cette question du monde d’avant et du monde d’après est très importante. La perte de repères de l’individu est une période charnière…Soit parce qu’il se réfère au passé, soit parce qu’il se réfère à la jeunesse, et c’est essentiel pour moi de dire une génération qui a perdu les repères de son histoire. C’est le propre de l’individu d’aujourd’hui, cette perte de repères qui pose question dans notre rapport à l’autre. Ce qui résonnait aussi pour moi avec notre actualité contemporaine, c’était le contexte social et politique, nous sommes dans une ère du divertissement, qui aide les gens à trouver des refuges pour éviter les questionnements qui les dérangent et les déplacent, et en même temps, il y a un fond de totalitarisme qui monte, comme à l’époque du Loup des steppes. Ce qui m’a intéressé enfin, c’est la recherche individuelle d’un point d’équilibre entre accorder de l’importance aux choses, mais trouver la juste distance qui nous permet de ne pas basculer dans l’irréversible.

Sur scène, les décors tournent, et l’on passe d’un monde à l’autre. Quelle est la nature de ce mouvement?

C’est le mouvement du cycle de l’histoire que l’on raconte, décennie par décennie. Les citations commencent en 1945 pour arriver jusqu’à nos jours, comme si on était emporté dans cette machine dans laquelle l’individu réclame d’être reconnu pour ce qu’il est, une époque qui lui a laissé entrevoir la promesse qu’il serait au centre du monde, alors qu’il est emporté par une machine écrasante. C’est une machine bipolaire: d’un côté, ce monde de l’écran dans lequel nous sommes pris, et de l’autre, l’envers de l’écran, le temps de l’intime. Ce monde-là, c’est le reflet de ce qu’était Herman Hesse, étant lui-même bipolaire, cette machine tournante et binaire essaie de synthétiser de manière assez simple un état des lieux du monde qui nous laisse peu d’équilibre entre l’excitation et la dépression.

En Marge! de Joris Mathieu et de la compagnie Haut & Court, Théâtre Nouvelle Génération, Lyon, du 1er au 9 octobre.

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