C’est l’opéra dont on parle : Fidelio dirigé par Raphaël Pichon et mis en scène par Cyril Teste à l’Opéra Comique transpose Beethoven dans des geôles contemporaines. Un parti-pris fort qui a ses réussites, et ses faiblesses. Et l’occasion d’entendre dans un rôle flamboyant,  l’immense Michael Spyres. 

Fidelio, épopée d’une épouse pour sauver son mari, Fidelio, peinture de la tyrannie vue de l’intérieur, Fidelio, unique opéra de Beethoven portant la puissance, l’excès, la nature mozartienne et son dépassement, Fidelio, hymne à la liberté et espoir d’un monde neuf… Il est tant de Fidelio qu’il s’avère sans doute difficile de choisir quel opéra, un chef, un metteur en scène choisissent de monter. Car bien sûr, un grand Fidelio s’avère celui qui fait entendre et voir ces multiples perspectives en même temps, sur une même scène. 

Raphaël Pichon choisit à l’Opéra Comique, de jouer ce Fidelio sur instruments anciens et au plus près de la partition d’origine, dans le prolongement de cette démarche qu’il mène depuis quinze ans avec l’ensemble Pygmalion. Quittant les rives du baroque qu’ils ont exploré avec succès, ils se lançaient là un défi neuf pour lequel ils étaient très attendus. Le pari est-il tenu ? Le choix a été fait d’un Fidelio assez mozartien qui valut de longs applaudissements du public et qui s’alliait parfaitement à la voix de la chanteuse Siobhan Stagg que nous avons eu la chance de voir et d’entendre, avant qu’elle ne souffre d’une aphonie et doive être remplacée. La jeune Australienne endossait avec ce rôle de Fidelio l’un des plus exigeants de sa carrière, s’inscrivant dans les pas de Jessye Norman ou Nina Stemme. Elle en livra une délicate interprétation, non pas inoubliable, mais qui l’installait sur scène et lui permettait de faire face aux immenses chanteurs qui l’entouraient. Ainsi,  l’excellente Mari Eriksmoen qui révèle son personnage de Marcelline comme rarement, Albert Dohmen qui forge un Rocco mélancolique et profond, et bien sûr Michael Spyres qui, lorsqu’il apparaît à l’Acte II, par ce fameux « Gott », une des entrées lyriques les plus spectaculaires et difficiles qui soient, l’opéra se métamorphose : un immense chanteur est arrivé. 

Il se présente en costume orange de condamné à mort. Car voici où nous place Cyril Teste dans sa mise en scène : dans un commissariat et une prison d’aujourd’hui, décor très américanisé, que ce soit dans ses costumes très « Guantanamo », ou dans la tenue des policiers. Comme toujours chez Teste, la vidéo agit au centre de la mise en scène, s’invitant même pendant l’ouverture de l’opéra. L’idée de transposer Fidelio aujourd’hui, dans ce contexte policier, est pertinente car elle renforce pour le spectateur le sentiment de malaise et de monde sans ordre. La vidéo, dans ce contexte policier, se justifie on ne peut plus. Fallait-il pour autant contraindre les chanteurs à ces gros plans, notamment de Siobhan Stagg qui, aussi intéressant que soit son visage, n’est pas actrice et ne peut pas transmettre l’ineffable mystère de Fidelio, un des personnages les plus fascinants de l’histoire de l’opéra ? Et fallait-il se lancer dans un film d’ouverture qui raconte ce que l’opéra omet, l’arrestation de Florestan, dans une volonté explicative qui nuit au mystère du récit ? Cette mise en scène, si elle fait preuve de l’intelligence et de l’effet de choc du réalisme, semble au premier acte en décalage avec la sophistication de la musique de Beethoven. Mais au dernier acte, lorsque les chanteurs sont réunis autour de cet objet de terreur qu’est le lit d’injection du condamné à mort, dans ce sous-sol infernal de la prison politique, la mise en scène, les chanteurs, l’orchestre se réunissent pour porter cette musique à la grâce de l’homme et de la liberté qui accompagne longtemps le spectateur. 

Fidelio, Ludwig van Beethoven, dirigé par Raphaël Pichon et mis en scène par Cyril Teste, à l’Opéra Comique, jusqu’au 3 octobre. 

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