Avec Journal d’une femme de chambre, Jean Renoir réalisa une version du roman d’Octave Mirbeau qui  en conserve toute la cruauté et la dimension satirique. 

En 1946, Jean Renoir adapte le roman d’Octave Mirbeau qui s’attaquait violemment à la bourgeoisie du XIXe siècle et à ses « vices honteux ». Avant Bunuel et Jacquot, c’est à Hollywood que Célestine prend place sur les écrans, loin du terroir normand incriminé – reconstitué en studios. Quoi de plus incongru si ce n’est que le projet tient à cœur au cinéaste français exilé sous le soleil de Californie. Pour passer la censure de nombreuses coupes et modifications sont nécessaires, en premier lieu, il faut laver Célestine de son passé (résumé en un lapidaire : « Les hommes m’ont toujours fait du mal, désormais, je me servirai d’eux. »), taire les fantasmes auquel se livre le maître Lanlaire et le langage trop cru des domestiques. Mais si le jeu des maîtres pervers et des valets dans le même temps soumis et révoltés est souvent masqué pour laisser place à une comédie qui tient davantage du slapstick que de la charge sociale, il reste ici et là des traces de satire non négligeables. En filigrane, la critique demeure acerbe. Une pièce montée à la crème peut vaciller dans les mains de Célestine alors que la maîtresse de maison l’entraîne dans les escaliers, emportée par la fièvre du retour du fils prodigue. Mme Lanlaire exerce son plein pouvoir sur Célestine d’un « Déshabillez-vous ! » Elle la modèle en pur objet de désir pour son fils, à qui elle semble fournir à foison boissons et plaisirs de chair. Elle impose à sa femme de chambre corsets, coiffure, parfum et vêtements affriolants achetés à Paris allant jusqu’à lui faire revêtir sa propre robe de chambre un soir où le jeune homme menace de s’en aller. Entre complexe d’Oedipe déguisé et satisfaction d’appétits sensuels avec sa subalterne soubrette, le rejeton n’a rien à envier à celui du roman. Quant au fétichisme des bottines saisi le long des jambes de Jeanne Moreau par un Bunuel expert en la matière, il est ici déporté sur la chevelure de Paulette Goddard en une pure scène de plaisir capillaire à la suggestion évidente. Alors qu’il dénoue ses cheveux d’or, les caresse puis les met en bouche, Georges Lanlaire est soudain arrêté dans son élan par une culpabilité qui le fait fuir. Son désir inassouvi, sa faiblesse constitutionnelle et sa soumission au diktat maternel le condamnent, semble-t-il, à l’impuissance. La violence est souvent masquée sous une apparence de comédie, ainsi le grotesque capitaine Mauger mangeur de fleurs étrangle un écureuil devant les propositions d’union de Célestine. Le laquais Joseph, quant à lui, qui rêve de s’enfuir avec l’argenterie, et Célestine, s’adonne à des supplices sadiques sur des oies qu’il tue lentement à l’aiguille. Une odeur de crime plane sur l’ensemble et si Célestine s’en amuse un temps essayant d’effrayer la cuisinière, elle rit moins lors de la fête du 14 juillet où le même Joseph menace de tuer son amoureux et repousse la foule à coups de fouet. Malgré une happy end un peu trop convenue, il plane sur cette Femme de chambre un parfum de sang et de stupre si faiblement dissimulés que le public américain ne sera pas au rendez-vous. Renoir, déçu, tente d’oublier cet échec et son film avec. Il est temps désormais de le redécouvrir.

Journal d’une femme de chambre de Jean Renoir, avec Paulette Godard, Burgess Meredith, Hurd Hatfield, Sidonis. 

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