Désincarné, l’art contemporain ? On ira se convaincre du contraire au Frac Franche-Comté, à l’occasion d’une riche expo. 

Effluves printaniers, le Doubs qui brasille, le confinement entre parenthèses : le voyage de presse au Frac Franche-Comté, pour Danser sur un volcan, une de ces expos où l’ambition intellectuelle le dispute à la haute valeur d’œuvres triées sur le volet, a un petit air de liberté. Esprit de contradiction sans doute, mais je pense à un lieu clos, le séminaire de Besançon, et à un de ses hôtes, aussi fictif que célèbre, Julien Sorel, qui, perdant moyens et connaissance devant le directeur des lieux, « tomba tout de son long sur le plancher ». Comme un écho à l’expo. Car, expliquent Florent Maubert et Sylvie Zavatta, les commissaires, il s’agit d’interroger l’art contemporain sur une double contrainte : le directeur du séminaire et le plancher, pardon, la présence de l’autre et la gravité. 

Je gravite, donc, au sein de l’expo, dosage subtil et efficace de totems qui n’ont rien perdu de leur aura (Robert Morris, Klaus Rinke, ou encore Gordon Matta-Clark, avec une mention spéciale pour sa vidéo Tree Dance du début des années soixante-dix) et de noms plus récents, moins sacrés mais tout aussi magnétiques. Tels Daniel Firman, dont l’impressionnant Duo (Lodie, Paola, Denis, Amélie, David, Siet, Camille) (2 013), chaîne humaine en résine peinte, suggère un mélange de chorégraphie et de baquet de Mesmer. Ou encore, découverte de ce voyage, l’insolemment doué Dhewadi Hadjab dont la peinture a la puissante théâtralité expressive d’un Bacon, tout en lorgnant vers l’hyperréalisme. Et je commence à comprendre ce qui fonde et soude la double postulation de l’exposition : les rapports avec nos prochains et la gravité sont deux manifestations, deux facettes, l’une humaine et existentielle, l’autre mécanique et physique, du plus élusif et, littéralement, du plus fort des concepts – la force justement. 

Celle qui pousse vers le ciel les branches de l’immense arbre de Tree Dance. Celle qui imprime leur mouvement d’oscillation aux pendules de l’installation de William Forsythe : une pièce entière où ces petits cônes de radiesthésiste, accrochés au plafond, se balancent au bout de leur fil, contraignant le visiteur à zigzaguer, imposant ainsi à un empoté comme moi un véritable tour de force : esquisser de gauches pas de danse pour franchir la salle. 

C’est que la danse est l’impetus de l’expo, son premier moteur. Il y a bien sûr la vidéo de Maguy Marin, Eden, qui, comme un préambule donne le ton. Mais il y a aussi cette silhouette noire, barbue, silencieuse, ici instrument rythmique humain avec ses chaussures à talon, là créature émergeant d’on ne sait quel chaos (ou y retournant) comme en tâtonnant, en essayant de tous ses membres l’espace. C’est Alexandre Nadra, dont le corps est un concentré de plasticité et de puissance et qui ponctue de trois solos l’expo le jour où je m’y trouve. Il y a aussi ces deux danseurs qui, avec le plus insignifiant des mobiliers – tables, chaises – rejouent une performance de Micha Laury. Etrange et longue scène, pleine d’une force aussi éloquente que muette.

Danser sur un volcan, Frac Franche-Comté, jusqu’au 19 septembre, plus d’informations en suivant ce lien.