Jean Tschumi, l’architecte de Sandoz ou de Nestlé, fut surtout un grand architecte tout court. (Re)découverte à la faveur d’une éclairante expo.

C’est d’abord un étrange anniversaire, endeuillé, qui a lieu en 1962, et que raconte, en préambule à la visite, un grand architecte, Bernard Tschumi. Qui a eu dix-huit ans le jour où un autre grand architecte, son père, Jean est mort. La coïncidence frappe mais Jean Tschumi, né lui en 1904, entretenait après tout, souligne son fils, une relation bien particulière au temps, à rebours des tropismes des autres grands architectes modernes : loin de casser net le fil de la tradition, il entendait son art et son œuvre dans la continuité de l’histoire de l’architecture. Comme une façon de composer avec cet héritage.

Tel est bien le portrait que brosse cette expo qui s’abreuve à un impressionnant fonds d’archives, cédées par Bernard : celui de l’architecte en compositeur. Ainsi, le jeune Suisse, arrivé en France en 1922, entré aux Beaux-Arts de Paris en 1923 se signale d’abord par une prodigieuse virtuosité technique – une science de la composition, de l’équilibre des masses, précise l’une des deux commissaires, Stéphanie Quantin-Biancalani. C’est que pour Tschumi il n’y a pas l’architecture d’un côté, comme une coque, et les arts décoratifs et le design de l’autre, pour meubler littéralement celle-ci. Sa sensibilité est celle d’un artiste total, et ce goût de l’unité de toutes les composantes, il l’a acquis auprès du décorateur Jacques-Emile Ruhlmann, dans les années vingt, ou du ferronnier Edgard Brandt, au début des années trente.

En 1937, c’est une rencontre déterminante, celle d’Edouard-Marcel Sandoz, sculpteur animalier. Et même doublement déterminante. Parce qu’il conçoit avec lui le pavillon Nestlé lors de l’Exposition universelle de 1937. Parce que Sandoz, c’est, bien entendu les laboratoires Sandoz. D’où de nombreuses commandes à Jean, et en particulier, de 1945 à 1953, l’édification des laboratoires d’Orléans. Il faut se pencher sur les dessins de Tschumi, par exemple cette perspective sur l’angle de l’entrée qui révèle, note Stéphanie Quantin-Biancalani, une structure conciliant des éléments tout classiques, comme un entablement, et le vocabulaire architectural du grand prêtre du béton armé, Auguste Perret.

Si Tschumi, raconte Jean-Baptiste Minnaert, l’autre commissaire, a vécu son voyage aux États-Unis de 1952 comme une « épiphanie », ses propres réalisations, à leur tour, sont le théâtre d’une révélation. Celle du paysage. Qu’il s’agisse du siège de la Mutuelle Vaudoise Accidents à Lausanne, achevé en 1956, ou de celui de Nestlé à Vevey (achevé en 1960), ce sont toujours des « bâtiments qui parlent à l’horizon ». Qui, en jouant par exemple sur l’évidement du rez-de-chaussée, ménagent des ouvertures sur la nature, comme pour l’intégrer à l’architecture, pour réaliser une œuvre composite tenant des deux. Le parcours s’achève avec le siège de l’O.M.S., à Genève, qui lui est confié en 1960. Sa mort l’empêche de mener l’entreprise à son terme, mais le bâtiment porte bel et bien sa signature. Comme l’œuvre d’un grand compositeur, eût-elle été achevée par un autre…

Exposition Jean Tschumi architecte, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, jusqu’au 19 septembre.

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