Lauréate 2021 du Prix MAIF pour la Sculpture, cette jeune enseignante et directrice artistique a créé une fascinante machine à impressions de nos rêves, qui aurait plu à Raymond Roussel et à Julio Cortazar…
Elle en rêvait peut-être la nuit, sans doute le jour : Marion Roche a remporté le Prix MAIF 2021 pour la sculpture avec son projet en impression en 4d intitulé Je viens de te voir en rêve en hommage au Miroir, le film d’Andreï Tarkovsky. Un projet ambitieux aux frontières de l’art et de la science où il est question de mettre en formes les rêves, d’en analyser le processus et d’en établir une cartographie précise. Un projet dans la droite ligne du Prix MAIF pour la Sculpture, distinguant des artistes explorant les technologies les plus pointues au service de leur processus de création.
Domaine médical
La pièce de Marion Roche destinée à être produite à deux exemplaires se présente comme une sculpture animée de façon autonome, en métal et en résine polymère transparente, une matière utilisée dans le domaine médical. Une singularité qui a intrigué Marion Roche, fascinée par la captation et le traitement des ondes cérébrales humaines par le biais d’EEG (électroencéphalogramme) réalisés durant le sommeil paradoxal, au point que la jeune femme a, dans le cadre de ses recherches, contacté des neuroscientifiques. « Ma sculpture, explique cette jeune femme établie à Lyon, repose sur la mise en forme de rêves, en mettant en avant le rapport particulier qu’ils entretiennent au temps et à l’espace. La cartographie de l’activité électrique du cerveau ainsi obtenue est imprimée en 4d, ce qui permet d’ajouter à l’impression 3d le mouvement dans le temps, en fonction de la luminosité. J’aime particulièrement l’idée de formes animées d’un mouvement autonome pouvant s’appliquer à un matériau aussi amorphe que le verre ».
Environnement immersif
Afin de mieux comprendre pourquoi Marion Roche s’est penchée sur le rêve, ce territoire à la fois mystérieux et toujours peu cerné, il serait peut-être utile de retracer son parcours. Née en 1990, cette artiste-chercheuse, comme elle aime se définir, vit et travaille à Lyon. Directrice artistique du studio LTBL ( Let There Be Light), elle est également enseignante et poursuit un doctorat en philosophie esthétique à l’Université́ Jean Moulin, en codirection avec l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon et le laboratoire ACTH (Art Contemporain et Temps de l’Histoire). Dans ses recherches philosophiques et plastiques, Marion Roche s’intéresse au rapport au corps et aux changements perceptifs et affectifs qu’entraînent les nouvelles technologies. Son travail artistique s’inscrit à la frontière entre sculpture et art numérique, et se penche notamment sur les environnements immersifs. « Pour en faire des relevés, des cartographies », précise cet esprit curieux également très impliqué comme on l’a vu, dans la pratique de la philosophie. « C’est à nous en tant qu’êtres humains, poursuit-elle, d’apprendre comment nous servir de nos rêves ». Mais au lieu de figer leurs représentations imaginaires dans une impression 3 d classique, Marion Roche a souhaité rajouter une dimension aux trois dimensions symbolisant le mouvement dans le temps. Une façon de montrer qu’aujourd’hui l’art de la sculpture implique ce que la jeune femme nomme abstraitement « les nouvelles technologies des environnements immersifs », en d’autres termes les résines polymères et l’aluminium. Ces nouvelles approches encore en développement permettent de ne pas figer les formes qui peuvent par exemple s’ouvrir et se refermer en fonction de l’hydratation, de la température ou de la luminosité de l’environnement. « J’aime particulièrement cette idée de formes animées d’un mouvement autonome se passant de câbles et d’une logistique électrique imposante, et qui peut s’appliquer au verre, alors même que c’est un matériau amorphe, évoluant à une échelle temporelle très importante qui a été une des sources d’inspiration de ce projet ». Cette curiosité envers les techniques et les matériaux d’avant-garde trouvent sans doute une partie de son explication dans un parcours artistique atypique : « je n’ai pas étudié en fac d’art. Parallèlement à mes études en philosophie, je me suis intéressée très tôt à la pratique artistique, mais en autodidacte. Je me suis perdue pendant des années à vouloir apprendre la soudure, la ferronnerie, j’ai vraiment passé des années à vouloir maîtriser ça. Aujourd’hui je me penche ce qui fait lien dans toutes les choses que j’ai apprises au fil du temps et qui reviennent d’une façon ou d’une autre à travers mes différents centres d’intérêt ».
Ajoutons, car ce détail a son importance, que dans le creux de chacune des formes issues des rêves sera gravée au laser une phrase le représentant, qui se révélera ou se dissimulera en fonction des mouvements, des respirations, presque naturelles, de ces formes. La sculpture apparaîtra donc différemment à chaque exposition publique. S’inscrivant dans une démarche en lisière de la sculpture et de l’art numérique, les recherches artistiques de Marion Roche interrogent d’une façon singulière le rapport au corps et aux changements perceptifs et affectifs qu’entraînent les nouvelles technologies. Une réflexion hybride ambitieuse où se mêlent art, philosophie, science, et qui n’est pas sans rappeler le propos de Grégory Chatonsky et de Goliath Dyèvre, les deux lauréats primés l’an dernier avec leur projet « Internes ».
Marion Roche bénéficie de la part de la MAIF d’une enveloppe de 40 000 euros dédiée au développement du projet et à la production d’une sculpture en deux exemplaires -, ainsi que d’un accompagnement pour produire son projet, avec l’appui d’experts et d’acteurs économiques.