Vingt-cinq ans après son fameux Bajazet, Eric Vigner revient à Racine avec Mithridate. A découvrir du 31 mai au 8 juin au Théâtre national de Strasbourg.

Il est urgent de voir Mithridate. Car tout est beau, n’ayons pas peur des mots, dans cette mise en scène d’Eric Vigner. En attendant la réalité de la scène, il est réconfortant de se plonger, derrière son écran, dans la somptuosité de cette tragédie épique et romantique, pleine de déchirements et curieusement peu représentée.Mithridate était, dit-on, la pièce préférée de Louis XIV. Elle s’inspire de la vie du roi éponyme qui s’était accoutumé à ingérer progressivement des poisons pour mieux y résister- la « mithridatisation ». Racine situe l’action le dernier jour de son existence. Mithridate, après une défaite contre les Romains, est déclaré mort. Ses fils ennemis, le sournois Pharnace (impeccable Jules Sagot) et le sensible  Xypharès (Thomas Jolly tout en effroi et fragilité) se disputent la belle Monime que le roi était sur le point d’épouser. Mais ce dernier n’est pas mort et revient dans son royaume. À sa défaite militaire s’ajoute la trahison- double car Mithridate apprend au passage que Pharnace ferait volontiers alliance avec les Romains.

La captation de Mithridate au TNS est somptueuse. La réalisation se glisse avec intelligence dans le regard d’un spectateur de théâtre en captant des détails, a priori anodins. Les caméras de Stéphane Pinot s’attardent ainsi avec grâce sur les mains de Monime ou les chaussures de Mithridate, puis remontent progressivement jusqu’à leurs visages comme pourrait le faire le spectateur. Elles jouent également sur les noirs profonds et les couleurs des costumes qui servent à merveille ce drame vers lequel nous mènent inexorablement les rouages de l’horlogerie racinienne. Mais comment ? Ce suspens est servi admirablement par la façon dont les comédiens habitent l’espace avec pour seuls décors quelques brasiers, un trône et un gigantesque rideau de perles de Bohème qui descend des cintres jusqu’à la scène. Monime (magnifique Jutta Johanna Weiss) longue chevelure nue, est parée d’une robe grenat qui évoque les créations d’Issey Miyake. Mithridate, le cœur « déjà glacé par le froid des années », empoisonné par l’amour s’enfonce dans la solitude et la jalousie. Ne pas être aimé de Monime dont le cœur appartient à Xypharès lui est insupportable. Pourtant, lui que ses fils craignent tant finit par se montrer plus grand que tous, en choisissant la mort et en permettant à Monime et Xypharès de consacrer leur hymen. Stanislas Nordey, totalement habité par ce rôle-titre plein de tristesse, livre quant à lui un jeu tout en retenue, qui nous suspend à chacun de ses vers, habité avec grâce par cette « tristesse majestueuse » de la tragédie (Racine, préface de Bérénice) sans jamais trop en faire. Quant à Philippe Morier-Genoud, en fidèle Arbate, sa justesse nous rappelle la puissance singulière et unique du théâtre, qui peut faire vivre un monde en quelques vers. Mithridate est un grand Racine, profondément humain, dans un écrin saisissant. Nul doute que Jean-Pierre Vincent et Christian Biet auraient aussi aimé ce spectacle qui leur est dédié.  

Mithridate, de Jean Racine, mis en scène par Eric Vigner, capté par Stéphane Pinot. Au Théâtre national de Strasbourg du 31 mai au 8 juin et sur Culturebox jusqu’au 23 août. Plus d’informations en suivant ce lien