L’exposition du Musée du Quai Branly revient sur l’appropriation des artistes dits primitifs par les Occidentaux pour mieux comprendre les préoccupations des artistes contemporains et l’originalité de leurs œuvres. Portes fermées, le vernissage de l’exposition #ExAfrica sera diffusé en direct de la chaine éphémère Francetv culturebox le dimanche 21 février à 21h.

Par une glaciale journée de février, les portes du Musée du Quai Branly s’ouvrent à une poignée de journalistes pour faire découvrir la nouvelle exposition de l’institution maintenue fermée. « Ex Africa parle ce qui vient d’Afrique, non pas seulement les œuvres mais aussi les idées et les mythes, explique Philippe Dagen, son commissaire d’exposition et critique d’art. La question de l’appropriation des formes africaines par les avant-gardes occidentales et par le commerce décoratif est le point de départ. Il s’agit de montrer comment, après avoir méprisé et exploité l’Afrique, les industries culturelles occidentales proposent des ersatz de succédanés d’Afrique dans une totale ignorance des significations, ce dont témoigne particulièrement le tas de faux masques cassés de Théo Mercier. Les premières salles font une sorte de rappel des épisodes précédents afin que l’on mesure mieux ce qu’il y a de nouveaux dans ce qu’il se passe aujourd’hui. » Ex Africa débute ainsi avec la présentation d’œuvres d’artistes américains des années quatre-vingt qui s’emparent de ces formes dites alors primitives extraites de leur contexte, et notamment les peintures de A.R. Peck si exotiques et naïves, avec ses crocodiles, ses lions, ses masques et ses corps nus aux attributs sexuels proéminents. Ces dernières sont confrontées à deux œuvres de Cheri Samba « dont les textes abordent la manière dont les artistes africains ont longtemps été maltraités par les musées en général, et français en particulier. Il y a trop peu d’œuvres d’artistes africains dans les collections du Musée d’art moderne », me confie Philippe Dagen. Nous retrouverons l’artiste congolais en conclusion de l’exposition avec un planisphère dont le visage est positionné au centre, là où apparaît normalement l’Europe. Entre les usurpateurs et le lanceur d’alerte est exposé Jean-Michel Basquiat, figure ambivalente de la relation à l’Afrique. Si l’artiste américain d’origine portoricaine et haïtienne s’approprie le langage formel africain pour aborder ici la traite négrière, Philippe Dagen souligne avec précaution qu’il appartient avant tout au monde de l’art occidental. La distinction entre l’exploitation et la critique de cette dernière est parfois subtile.

Pop

La seconde partie de l’exposition nommée Pop rapproche des œuvres qui révèlent avec cynisme la transformation de l’œuvre d’art en objet de consommation, « la fabrique du faux » comme la nomme le commissaire d’exposition. Ainsi, en s’approchant d’un ensemble de sculptures a priori africaines réalisées par les frères Chapman, apparaissent le visage et le logo Mc Donald.

Dans la section Métamorphoses sont présentés des artistes ayant digéré ces sources d’inspirations pour les réactualiser, les hybrider, en y intégrant leurs préoccupations. Jean-Michel Alberola sculpte des artistes fétiches portant de gigantesques pinceaux. Gloria Friedmann représente des bustes de femmes animales. Orlan se portraitise en Self-hybridations africaines. Pascale Marthine Tayou réalise des masques en verre qui, par le choix des formes et des matériaux, effacent les frontières entre les cultures. Et avec ses masques en plastique, Romuald Hazoumè s’amuse à faire se rencontrer l’ancien et le contemporain, évitant ainsi la copie et la répétition qui pourraient enfermer les artistes. Certaines œuvres de cette section suggèrent de se réapproprier ce qui fut volé en rejouant des œuvres célèbres, tel Leonce Raphael Agbodjelou avec Les Demoiselles d’Avignon de Pablo Picasso ou John Edmons parodiant la photographie Noire et blanche de Man Ray. De manière plus radicale, les encres et collages de Steve Bandoma montrent la violence des relations entre l’Afrique et l’Occident, entre la société traditionnelle et le consumérisme.

Activations

Activations, la toute dernière section de cette exposition, rassemble quatre installations produites pour l’occasion qui ont toutes trait à la question de la mémoire. Myriam Mihindou et Kader Attia étudient la spoliation et la restitution des objets pillés, la première à travers un symbole décapité, la fleur de lys, le second, à travers les oeuvres d’art africain. Romuald Hazoumé utilise des semelles de tongs érodées par l’eau de mer, en référence aux migrations, qu’il dispose en forme de serpent, symbole de la vie. Et Pascale Martine Thayou compose « un instantané de sculptures de son pays le Cameroun, entre exploitation minière, Boko Haram et quelques autres perturbations de la vie quotidienne », précise Philippe Dagen.

J’interroge Philippe Dagen sur le choix des artistes exposés, aussi bien occidentaux qu’africains. « Ils se sont imposés par leurs œuvres. Il suffisait d’être attentif pour voir qu’elles avaient vocation à se rencontrer. Mais vous pourriez aussi vous demander pourquoi les œuvres des artistes occidentaux qui ont trait à l’Afrique ont été moins montrées par les institutions françaises que d’autres. »

Ex Africa, Musée du Quai Branly, jusqu’au 27 juin 2021: www.quaibranly.fr

Rendez-vous le dimanche 21 février à 21h en direct du canal 19 de la TNT ou sur https://www.france.tv/spectacles-et-culture/