Une grisante expo à la Cité de l’architecture brosse un portrait éclaté, bouillonnant et juste de Kinshasa au prisme de l’art contemporain.

Dans une des petites salles qui, comme autant d’alvéoles, scandent cette exposition buissonnante et bourdonnante sur Kinshasa, un duo de papier mâché et de tissu se livre à un étrange ballet aérien. En apesanteur, dans une pénombre qui ne noie pas, au mur, la tapisserie de photos de Rek Kandol sur lesquelles s’évertuent de jeunes boxeurs, les deux marionnettes de Widjio Wiyombo rejouent, gantées, yeux et bouches dilatés, un affrontement qui appartient désormais autant à la geste du noble art qu’à l’histoire du Congo : le « combat du siècle ». C’était en 1974, à Kinshasa, et Norman Mailer en a tiré un livre mémorable. Mailer, dont Dominique Malaquais, une des commissaires (on ne citera pas, faute de place, les autres, mais elle insiste sur l’élaboration collective de l’expo), est la filleule.

Ce genre de zigzag, qui fait ricocher l’œil et l’esprit d’une œuvre à l’autre, des œuvres à l’Histoire, de l’Histoire aux souvenirs, de la scénographie de l’expo à la topographie kinoise (les photos de Rek Kandol sont prises dans le stade où eut lieu le mythique combat), est à l’image de l’expo. Laquelle, pour aborder Kinshasa sous l’angle de l’art contemporain, refuse les compartiments et les cloisonnements, privilégiant une « porosité » qui, nous explique Dominique Malaquais, est le genius loci de la protéiforme Kinshasa. On visite moins qu’on ne se laisse prendre, un peu au hasard, par les multiples sections qui ramifient l’expo – « ville sport », « ville débrouille » – comme autant d’embranchements. On progresse moins d’œuvre en œuvre qu’on ne tisse de l’une à l’autre, très loin de tout ordre linéaire de succession et de préséance, des associations spontanées, qui ne seront pas les mêmes lorsqu’on reviendra. Voici un triptyque de Shula, trois peintures dévolues à la musique, où se glissent des réminiscences d’autres peintres, Moke ou Chéri Chérin et où l’exubérance des corps et des couleurs charge ces scènes d’une irrésistible énergie cinétique. Voici Absence, poignante et troublante installation d’Eric Androa Mindre Kolo (lui aussi commissaire de l’expo) : un cercueil fleuri pour évoquer la mort de son père, une vidéo où on le voit chercher la tombe du défunt, des photos. Mais l’autobiographie n’est pas une clôture étanche, le monument funéraire et artistique est aussi consacré à d’autres absences, à des inconnus disparus, et il a quelque chose de Kinshasa même.

De ce brassage des matériaux, de cette hétérogénéité des pratiques qui, comme un maëlstrom, interdit de parler au singulier d’un art contemporain kinois. Et il faudrait mentionner aussi tous ces performers, qui donnent ou prennent le pouls de la ville : Eddy Ekete et son costume de canettes, Tickson Mbuyi qui, lui, endosse une combinaison faite de préservatifs… On ressort un peu groggy, peut-être pas encore kinois d’adoption, mais le regard purgé par ce vertige de toute tentation de « surplomb ». Ce « surplomb » que voulait précisément éviter Dominique Malaquais. Mission accomplie.

Pendant toute la durée de la fermeture de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, le musée vous propose de participer à des visites guidées en ligne. Plus d’informations en suivant ce lien.

Exposition Kinshasa Chroniques, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, jusqu’en juillet 2021.