boiseDe quoi la littérature est-elle encore le nom dans ce magma fangeux de la production éditoriale ? Comment se fabrique-t-elle ? Où se niche-t-elle ? Certainement pas dans tous ces machins d’autofiction et de témoignages larmoyants – sans oublier tous les cacas névrotiques des autosatisfaits de l’écriture contemporaine produisant ces fictions standardisées, toutes remplaçables et remplacées à chaque nouvelle saison. Pour autant, hors de question de larmoyer sur la situation, mais bien plutôt de nous réjouir qu’une certaine littérature (qualifiée étrangement de « genre ») parvienne à nous révéler le monde et cette complexité qui le travaille en profondeur, et souvent – pour ne pas dire toujours – contre lui-même. Cette littérature-là – agissante et probante – est pourtant noire, très noire. Elle tourne et retourne nos pensées jusqu’à titiller nos chairs. Elle n’a donc rien d’ornemental ou de réparateur à la différence de sa consoeur, cette Blanche-Neige qui, à la criée sur les étals, nous distrait un moment avant de finir par nous abrutir complètement et nous désoler vraiment, à la manière de celui qui avait déjà pu dire : « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée ». Avant l’Aube de Xavier Boissel, et son inoubliable personnage Philippe Marlin, nous sortent donc de cette léthargie dépressive dans laquelle nous plonge la littérature à la « française ». En effet, si ce roman à de nombreuses qualités, il a notamment celle de nous faire comprendre ce qu’était la France sous de Gaulle, et de nous montrer l’état de ladémocratiedurant la « belle époque » des années soixante où une « police » d’état parallèle (le Service d’Action civique) régnait sur la République alors au plus haut point corrompue, avec l’aide et le soutien de toutes sortes d’industriels et de hauts fonctionnaires qui, en matière d’ascenseur, savaient rendre la pareille comme personne. Mais le grand mérite de ce roman est sans doute de nous amener à mettre en perspective ce passé récent – bien que largement enfoui dans nos mémoires, sinon enterré – au regard de notre présent, en nous faisant prendre conscience que si tout semble avoir changé, c’est que, évidemment, rien n’a changé, puisque le cadavre de cette période est bien chaud et hante méchamment notre inconscient collectif. De là à penser que cela expliquerait l’état actuel de notre littérature… il n’y aurait qu’un pas. Toutefois, l’essentiel de Avant l’aubene réside pas tant dans ce sujet passionnant dont il rend compte avec force à travers une intrigue subtile, que dans son traitement même : style mélodique, poétique et rythmique : la musique – principalement le jazz – y joue sa propre partition, mais également la littérature par des citations pertinentes qui défilent comme les réminiscences inconscientes du personnage, nous rappelant ainsi qu’un roman puissant est toujours engendré par les grandes oeuvres qui l’ont précédé, l’innervant, le tissant et le reliant, tant à elles qu’à nos existences dans ce monde tel qu’il est. Le roman de Xavier Boissel nous prouve donc que si la littérature noire n’a rien à envier à la blanche, il en est même son avenir.