moissonneursLes « Moissonneurs »  d’Etienne Kallos décrit le profond trouble intime et collectif suscité dans une petite communauté rurale sud-africaine, par l’arrivée, choisie mais insolente, d’un adolescent afrikaner orphelin.

Désocialisé et toxicomane, il est accueilli dans la chaleur stricte d’une pieuse famille de fermiers blancs. Ils se sont volontairement isolés du fracas d’un pays bouillonnant, en se protégeant grâce à leurs traditions et des milliers de kilomètres de poussière.

Leur foi chrétienne chevillée au corps explique leur inébranlable hospitalité et l’amour intransigeant qu’ils veulent inconditionnellement offrir à ce jeune “prochain” afrikaner. Ce dernier est d’autant plus chéri comme l’un des leurs, que chacun, dans cette famille de substitution, mesure parfaitement la menace d’effacement politique et culturel qui pèse sur la communauté. Par conviction ou par loyauté, ils acceptent la règle du jeu issue des élections multiraciales.

Alors que la place de chacun est bouleversée par ce nouveau venu, le “new deal” politique résonne encore chez les fermiers blancs comme un sourd et omniprésent rappel à l’ordre nouveau, écourtant les phrases des uns (les Blancs), et autorisant chez les autres (les Noirs) une plus grande familiarité avec leurs anciens patrons tout-puissants.

Avec des cadrages et des plans serrés, et des dialogues parfaitement maitrisés, Étienne Kallos excelle à suggérer ces tensions intimes et sociales mêlées. Ce sont des regards appuyés, des manifestations d’égards plus formels qu’autrefois, ou la façon de se serrer la  main… On perçoit ici dans l’intonation d’une voix, dans l’amplitude d’un geste, dans le mouvement d’un corps, tout le chemin parcouru, ou celui qu’il reste encore à parcourir pour accepter l’autre…

On aime retrouver avec « les Moissonneurs », sous la canicule de l’Afrique australe, un peu de cette atmosphère d’isolement magnifique, et de superbe fébrile et moite, qui accompagnait la famille de planteurs français d’hévéa, dans “Apocalypse now” : conscients d’être les derniers des Mohicans d’une Indochine surchauffée, et toujours droits dans leurs bottes en caoutchouc neuf, dans l’attente stoïque de l’effondrement ultime de leur monde perdu…

On pense aussi à la cruauté suave et perfide du pasteur remarié de Ingmar Bergman, qui martyrisait ses beaux-enfants, “Fanny et Alexandre”…

Malgré un postulat de départ, politique et intimiste, qui aurait facilement pu surcharger son propos, “les Moissonneurs” parvient à tenir sur le fil une ligne tendue et précise, qui aborde sans flancher et sans facilités, les rives de sujets toujours périlleux pour un cinéaste : racismes, communautarismes, promiscuités familiale et communautaire, homosexualité, émancipation individuelle…

Etienne Kallos s’approche par moments de la grâce d’un certain Terence Malick, avec une légèreté qui n’émousse en rien le charme brutal et oppressant d’un film carré et qui file droit, porté par des acteurs impeccables.