pluie a nyNe revenons pas sur les circonstances absurdes qui ont contribué à retarder en France la sortie du cinquantième long-métrage de Woody Allen. C’est peut-être le film que nous aurons attendu de son auteur. Au point de le rêver. Comment rêve-t-on un Woody Allen qui porte un titre aussi romantique : Un jour de pluie à New York ? En promenade amoureuse dans les rues inondées de Manhattan ? En balade sertie de dialogues piquants et montée avec swing ? En oeuvre de moraliste qui pleure un monde sans Dieu ? Eh bien Un jour de pluie à New York est tout cela à la fois ! Ashleigh (Elle Fanning, pétulante comme Rosalind Russell), doit interviewer un cinéaste qu’elle adule. Gatsby (Timothée Chalamet, clone du Woody d’Annie Hall) patiente en rêvant de lui offrir une promenade new-yorkaise idéale. Évidemment rien ne se passe comme il le souhaite : en attendant le retour de sa belle, le jeune étudiant tombe sous le charme de la petite soeur de son ex… tandis qu’Ashleigh se laisse séduire par trois hommes (le cinéaste, son scénariste et un acteur) ! Si cette comédie sur l’inconstance des sentiments est si incisive (le journalisme est comparé au « plus vieux métier du monde »), on le doit à l’acuité intacte du regard d’un cinéaste qui demeure le meilleur portraitiste de sa ville et de sa faune. Il filme le Manhattan de 2018 comme un studio de cinéma à ciel ouvert. Dans ce New York de carton-pâte, dont l’artificialité est renforcée par la lumière orangée de Storaro, tout le monde joue la comédie : la call-girl joue les fiancées, Gastby joue Gastsby, Ashleigh joue les héroïnes hawksiennes et le cinéaste joue… Orson Welles. Quant au scénariste, il endosse l’imper de Bogart afin d’espionner son épouse. D’ailleurs, au moment où il la surprend en train de le tromper, celle-ci, au lieu de s’excuser, lui demande d’arrêter ses simagrées, c’est-à-dire son cinéma ! Les médias ne tentent même plus de départir le vrai du faux et il suffit d’une photo pour lancer des fake news. La tromperie a tant envahi le monde que le mensonge passe pour vrai et que toute parole sincère est accueillie avec ironie. Le plus goguenard d’entre tous ces personnages, le cynique Gatsby, le découvrira au cours d’une conversation bouleversante avec sa mère, un échange filial sans répliques ironiques ou mordantes. Dans cet univers où règne le faux, Allen aura donc réussi à faire entendre un discours authentique. Suite à quoi Gatsby tentera à son tour d’accomplir un geste vrai, en adéquation avec ses aspirations secrètes. À moins que ce geste-là ne constitue, lui aussi, un faux-fuyant ? Allen interroge notre capacité à croire et à faire confiance aux autres. Ne vous laissez pas berner par les apparences : cette comédie n’est ni anodine ni mineure, c’est le portrait précis d’un monde truqué.

De Woody Allen, avec Elle Fanning, Timothée Chalamet, Selena Gomez,