un jour avecComme tout cinéaste prolifique au style très marqué, Hong Sang-soo s’expose à chaque fois au risque de la redite. Peut-on décemment tourner deux, voire trois longs métrages par an sans s’emmêler les pinceaux, distinguer la situation de la scène 10 du film de janvier de celle de la scène 6 de celui de juin ? Si certaines de ses productions se sont avérées un poil laborieuses (Ha Ha Ha  ou Oki’s Movie  notamment), force est de reconnaître que HSS est l’un des cinéastes en activité les plus régulièrement surprenants. Cette dernière livraison, Un jour avec, un jour sans , a ceci d’intéressant d’oser le pari risqué du dédoublement littéral de son récit.

Arrivé avec un jour d’avance à Suwon à l’occasion d’une conférence, Ham Chun-su, cinéaste, fait la connaissance devant un palais restauré de Yoon Hee-jung, jeune et séduisante peintre. En plus de soumettre son travail à son jugement, la jeune femme ne semble pas fermée au jeu de la séduction. On suit donc durant la première heure chaque étape de leur journée, de la rencontre à leur passage à l’atelier de Hee-jung, jusqu’à la soirée arrosée qui décidera de la concrétisation ou non de leur relation. La deuxième heure de ce film d’une longueur inattendue sera rien moins qu’une reprise de toutes les séquences de la première. Les mêmes personnages se retrouvent dans les mêmes lieux pour vivre les mêmes choses, à quelques détails près.

Tout est dans le détail. On ne le saisit pas tout de suite, mais le comportement de Hee-jung n’est pas tout à fait le même lorsque Chun-su l’aborde dans le deuxième acte. Elle ne tient pas son sac plastique de la même manière. Quelques scènes plus loin, dans l’atelier, le tableau analysé par le cinéaste reste hors champ, là où il nous était accessible la première fois. Alors que l’on décryptait l’oeuvre avec lui tout à l’heure, on ne prête maintenant attention qu’à son adresse à son auteure. Ce jeu de répétition est une défiance de HSS à l’égard de son propre système. Via ces deux versions à peine différentes d’une même histoire, il fait sienne la critique de son supposé piétinement artistique. Si vraiment tous ses films sont les mêmes, pourquoi ne pas juger sur pièce, en proposant deux évolutions alternatives d’un même récit, susceptibles de s’annuler mutuellement comme de se répondre. Principe du palimpseste, qui est au fond le véritable moteur de ce cinéma : aucune fiction ne s’écrit sans la conscience de son caractère arbitraire.

Ce qui distingue Un jour avec, un jour sans  de Conte de cinéma  (2005), The Day He Arrives  (2011) ou In Another Country  (2012), c’est la franchise presque kamikaze du projet. La variation est cette fois beaucoup plus incertaine. Pas non plus de passage par l’onirisme et le rêve d’une jeune fille pour justifier le retour à une situation familière. Le maître nous invite cette fois à juger de la qualité de la version 2 à partir de ce qu’il reste en mémoire de la version 1. Rien n’interdit par ailleurs de valider les deux. Cette mise à disposition de toutes les aspérités, tous les possibles d’un même récit est la vertu d’un système toujours très hospitalier. Pour paraphraser Duchamp, c’est au spectateur, mis face à une conception du plan et de la scène très ouverte, de voir le film qu’il veut.