tirez la langue

La critique et cinéaste Axelle Ropert, et scénariste du Tip Top de Serge Bozon, présente son deuxième long métrage Tirez la langue, mademoiselle. Ou comment le vague à l’âme hante le Chinatown parisien.

Non, Tirez la langue, mademoiselle n’est pas une  nouvelle comédie romantique avec Louise  Bourgoin. Ou plutôt si. Car le nouveau film  d’Axelle Ropert n’est jamais uniquement ce  qu’il est, sans pour autant se perdre dans la  vase du cinéma réflexif. Certes, la cinéaste  inscrit son récit dans une connaissance maîtrisée de  l’histoire des genres, mais elle ne joue jamais la référence  contre l’énergie motrice du film. Deux frères (Laurent  Stocker et Cédric Kahn), médecins et inséparables  (ils consultent ensemble), tombent amoureux de la  même femme : Judith (Louise Bourgoin), la mère  d’une petite fille qu’ils soignent. Cette femme (fatale)  est vêtue de rouge, jusqu’aux gants de cuir, et travaille  comme barmaid dans le quartier chinois de Paris où  tout le drame se noue. Elle travaille de nuit, une nuit  de fiction dans laquelle se déroule la lutte doucement  fratricide pour la conquérir. Le film noir américain  n’est pas loin, et l’ambiance de néons rouges et bleus n’y  est pas pour rien. Le principe selon lequel se raconte  Tirez la langue, mademoiselle, c’est précisément que la vie  est parfois traversée d’imaginaire cinématographique,  malgré elle.  

La cinéaste signe ici une chronique de quartier et  une étude de caractères, sans jamais sacrifier l’émotion  au didactisme. Tirez la langue, mademoiselle  est d’ailleurs  proche de Tip Top de Serge Bozon (dont Axelle Ropert  est la scénariste) sous bien des aspects : dans la comédie  de celui-ci, un duo burlesque, incarnation d’un corps de  métier (la police), développe ses névroses sur des aplats  de rouge et de bleu, reflets de leurs caractères sanguin et  lunaire. Dans Tirez la langue, mademoiselle, les deux frères  sont aussi, à leur manière, un duo burlesque, versant  clowns tristes. Les séquences de consultation médicale  décrivent patiemment un métier-vocation. La relation  des deux frères entre eux, et celle de chacun à Judith,  est filmée avec bienveillance. Avec une mélancolie qui  n’est pas un vernis esthétisant, qui infuse à l’inverse tout  le film. Une mélancolie inhérente, sans à-coups, prenant  les personnages dans toute leur faiblesse (alcoolisme,  incontinence, épilepsie) mais sans condescendance.  Les failles morales et caractérielles ne sont pas des  chefs d’accusation, et colorent tout au plus une foi très  touchante de la réalisatrice dans l’humanisme quotidien,  la dévotion de voisinage. En témoigne par exemple cette  scène : les deux frères dînent dans leur cabinet avec  Charles (Serge Bozon, à son top), un ami gravement  malade. Alors qu’ils discutent, Charles annonce qu’il  s’est pissé dessus, qu’il se sent sale, et rentre chez lui.  La scène, exploit, n’est ni graveleuse, ni sottement  compatissante. Simplement tendre avec un personnage  d’ami en situation de faiblesse. La mélancolie d’Axelle  Ropert n’est pas celle qui émane de la bile noire, c’est une  mélancolie colorée, en bleu et rouge.