Il commence à faire beau, et déjà au mois de mai, les projets de vacances pour l’été deviennent préoccupants. On imagine bien Sarkozy sur son trône républicain à se dire que sa carrière est fabuleuse, quand même, si jeune et déjà président, McInerney quelque part dans une de ses soirées new-yorkaises, jusque tard, avec ce qu’il faut pour tenir debout jusque tard (54 ans tout de même), Beigbeder qui comme chaque soir qu’il rentre chez lui pense d’abord à ce qu’il va faire le soir même, puis à comment préparer le mieux possible sa rentrée littéraro-cinématografico-documentaire de septembre. Pendant ce temps-là, Jim Harrison nous fait un coup, il sort un roman sur la vie et la mort à la campagne, dans l’Arizona, la vie avec les ours, avec les corbeaux et toutes sortes d’animaux !

Donald a 45 ans, il est métis, moitié chippewa (indien), moitié finnois. Il est atteint d’une sclérose en plaque et décide de raconter à sa femme l’histoire de sa vie. Loin de la civilisation, loin des villes, sa vie a été simple. Sa profession d’abord : « Il m’est arrivé de travailler quatorze heures par jour pour poser des parpaings ou couler du ciment, et je peux vous dire qu’on devient tout bonnement le ciment qu’on coule, le parpaing qu’on pose. La vie se réduit à cela. » La famille : « Le mariage et l’éducation de nos enfants ont constitué le plus clair de ma vie. » Son histoire d’amour : « Cynthia et moi avions beaucoup de chance de partager ce grand amour romantique qui nous permettait d’aller de l’avant […] L’amour permet de surmonter les épreuves les plus dures. »

La littérature, le contraire du simple, ne l’emballe pas plus que ça. La culture n’est pas grand-chose, la nature est tout pour lui, il fait un avec elle : « Donald croit que Dieu se trouve dans tous les êtres vivants, les humains, les insectes, les oiseaux, les animaux, les microbes, et que la terre et ses montagnes, les plaines, les lacs et les rivières font partie de son corps. Les fleuves et les cours d’eau sont des vaisseaux sanguins. » Il croit aussi avec certitude que « les gens doivent être attentifs à vivre en complète harmonie avec leur environnement naturel. […] les gens sont entièrement reliés les uns aux autres et […] l’isolement équivaut à un arrêt de mort. » Rassurons-nous, la nature n’est pas uniquement source de bonheur, ça se saurait ! Son système peut montrer des faiblesses. C’est que Donald a une vision du monde ultra précise, mais il a fait des tentatives de suicide, comme nous, urbains ! D’ailleurs venons-en à la mort. Elle n’est pas pour lui cette effrayante faucheuse : « Mon décès imminent ne me dérangeait pas trop, car c’est tôt ou tard le sort de tous les êtres vivants. Mieux valait mourir le plus tard possible, mais ce n’était pas à moi d’en décider. » Et arrive le moment tant attendu du roman : il meurt. Serein, sans lutter, bien préparé, il y a ce fameux « retour en terre », et avec beaucoup de poésie, il décrit :

« Je suis devenu le serpent noir qui humait l’air à côté de mon genou gauche, puis les deux mésanges à tête noire qui se sont posées sur mon crâne. J’ai eu la chance de laisser mon corps voler au-dessus des contrées terrestres et aussi de marcher au fond des océans […] À un certain moment j’ai eu peur quand je suis descendu dans la terre, et quand je suis remonté je n’étais plus là. […] C’était vraiment un grand cadeau que de voir simultanément toutes les facettes de toutes les choses. […] Les membres de ma famille m’accompagneront comme ce vieux corbeau tombant lentement à travers les branches du sapin. »

Jim Harrison, qui s’inscrit dans la tradition américaine du roman pastoral de Henry David Thoreau, James Fenimore Cooper, Richard Brautigan, nous rappelle au moins une chose : à quel point dans notre quête de légèreté, dans notre société où la jeunesse aimerait être éternelle, on pense le moins possible à la mort, on se la cache, on lui tourne le dos, on ne s’y prépare pas.

Hélas, un jour, elle arrivera pour nous prendre sans prévenir, on se demandera ce qui est en train de se passer, et l’on repensera peut-être à Donald. Lui a accueilli la mort comme on accueille l’amour. Mais au fait, quelle sorte de thérapeute aller voir pour en savoir plus sur ce sujet ?