broyerExposition Anne-Lise Broyer, Journal de l’oeil (Globes oculaires), galerie Folia, jusqu’au 7 septembre

Georges Bataille a bien fait une Histoire de l’oeil, mais l’oeil peut-il raconter l’histoire de Georges Bataille ? Oui, s’il s’agit de celui d’Anne-Louise Broyer (née en 1975), oeil dépourvu d’oeillères, grand ouvert sur les obscures clartés, les mystères et les paradoxes de la littérature. Pierre Michon, Bernard Noël ont déjà associé, ou plutôt fondu, tant il y a affinité, leurs textes à ses photos, Yannick Haenel, parmi d’autres, appose sa signature sur le livre qui sortira en octobre 2019 et dont l’expo, à la galerie Folia, est un avant-goût. 

Donc Bataille, sa vie, son oeuvre, passées au filtre d’une série de clichés, noir et blanc ou couleur. Vie et oeuvre à la fois concentrées, dans l’unité singulière, la perception instantanée d’une image, mais aussi brouillées, opacifiées, au fil d’énigmatiques scènes. Ici, une enveloppe gisant sur un coin triangulaire de bois reposant lui-même sur les cannelures de fonte d’un radiateur qui a connu de meilleurs jours ; là, le revêtement, cuir ou feutre, d’une table de travail, comme élimé, lacéré ; ailleurs, un cadavre d’oiseau aux contours incertains, comme absorbés par le sol sur lequel il est couché ; plus loin un visage moucheté de taches de corrosion ou d’oxydation, comme une vieille photo soumise aux puissances délétères du temps qui commence à transformer la chair et les traits en un magma indistinct, dont ressort, vision lancinante, l’oeil droit. 

Biographie dans une main, oeuvre dans l’autre, on pourrait se livre à un minutieux travail de collation, traquer les correspondances avec les images, planter les jalons d’un dédale de visions, de rêves et de mots qui se répondent et se prolongent mutuellement. On laissera ce soin aux plus fervents des Batailliens et, somme toute peu importe. Car chaque image, loin d’être une illustration docile, enclot cette lumière ambiguë qui émane de toute l’oeuvre de Bataille, ce mélange indissociable de ténèbres et d’éclat, d’abjection et d’extase, de mort et de renaissance. L’oiseau mort se dissout dans la terre comme pour rejoindre le monde plus vaste des éléments,  l’oeil de la face mangée par le temps a cette présence insistante, solitaire, de celui de Dieu au-dessus de Caïn ou dans les triangles de certaines figurations symboliques…