edito85La terre a tremblé, la république, la démocratie, les journalistes, Charlie Hebdo, les policiers, les juifs de l’hyper, Paris, la France, le monde entier. Dix-sept morts en tout. C’est grave. C’est triste. Insupportable. L’islam radical a frappé fort, très fort. Nous pensons évidemment aux victimes, à leurs familles. Transfuge est Charlie, comment ne pas l’être ? Transfuge est pour la défense de la laïcité, à tout prix. Transfuge est plus que jamais pour la liberté d’expression. Que Mahomet soit caricaturé par un de nos illustrateurs et caricaturistes attitrés, Laurent Blachier, comme sur cette page, très bien. Même pas peur, comme dirait l’autre. On continuera à rire dans ce pays, à s’injurier, s’engueuler, débattre, se foutre de la gueule des uns et des autres, à critiquer, en douceur ou férocement. La France est un bordel organisé. Ce pays a un vieux fond anarchiste, c’est notre âme. Et c’est ce que ces musulmans radicaux ont essayé d’assassiner.

Si j’ai bien lu la presse, spécialistes, intellectuels, politiques, maires, députés, Premier ministre, président, nous allons entrer dans une période difficile. Le « rendez-vous au prochain attentat » de Saviano fait froid dans le dos. Une période où ça peut encore sauter, partout. La guerre à l’islam radical est déclarée et l’islam radical est entré en guerre contre la France.

Bref on n’est pas sortis de l’auberge. Et elle est même en feu. Attendons-nous à vivre dans la crainte, dans la peur, c’est-à-dire avec la mort. Sentiment désagréable. Bienvenue dans les mois qui viennent.

Pour décompresser, parce qu’il va falloir décompresser, certains vont faire du sport, d’autres prendront des vacances prolongées, s’alcooliseront comme Léon Bloy sans soif ou que sais-je encore… Nous, pour décompresser, on est allés voir Sollers. L’équivalent d’une bonne bouteille de bordeaux. Damien Aubel et moi. Dans le petit bureau de Sollers chez Gallimard, deuxième étage. Odeur de cigarette, forte, livres partout, de lui of course, de Sade, de Bataille, de Lautréamont, de Pleynet, et de tous les morts géniaux avec lesquels il dialogue tous les jours. Pas assez de reconnaissance envers nos morts géniaux, selon lui. Il a sans doute raison. On est allés le voir car c’est toujours très drôle d’aller voir Sollers. Il nous fait son show. On est allés le voir aussi, car il fait paraître un livre, L’École du Mystère. Un livre contre l’école bien sûr, son académisme, cette usine à fabriquer des futurs cadavres comme Sollers l’écrit à peu près (je vois d’ici le penseur de l’ordre moral Finkielkraut froncer les sourcils : « Quoi ? attaquer l’école républicaine alors qu’elle va si mal, notre école, mais ce Sollers est irresponsable… »). On est allés le voir parce qu’on voulait le faire parler des événements, bien sûr. On aime bien l’anarcho-littéraire Sollers, car il se méfie des bien-pensants (Le Clézio et son papier gentillet sur les événements paru dans Le Monde ; le flic Plenel et son affreux tweet du 17 janvier : « L’enfance misérable des frères Kouachi. À lire impérativement pour se ressaisir ») autant que les réactionnaires de tous poils, aigris en chef, si peu dialectiques, si pessimistes à l’excès, si obsédés par la fin des temps, la mort. Il nous en a dit quelques mots, ambigus comme toujours (à lire dans notre entretien), et très vite nous a sommés de revenir à la littérature. Laissons cela au spectacle…

C’est ce qu’on a fait dans ce numéro, côté étranger. Respirez, respirez bien fort, vous êtes en partance. Peu à peu, vous oubliez le tremblement de terre parisien… Vous oubliez le mortifère Houellebecq… la sociologue Despentes. Ça y est, vous allez mieux. Vous lisez Rachel Kushner, années soixante-dix, États-Unis, la contreculture, l’Italie, les années de plomb ; vous lisez La Confession de la lionne, Mia Couto, magnifique livre sur le Mozambique, des mythes, des légendes, une guerre ; vous lisez Walter Kirn, vous qui aimez Norman Mailer et le nouveau journalisme, vous êtes servis. Et plein d’autres découvertes encore.

Vous êtes maintenant en pleine possession de vos moyens, ailleurs. Dans ces beaux romans,dans le camp de la culture, chez Transfuge. Il n’y a que l’art qui ne mente pas, écrit Henry Poulaille. Vous souriez.