Il faut bien le dire, mon bon monsieur, la France va mal. Se sent mal, en tout cas : répétons-le, nous faisons partie des cinq pays au monde les plus pessimistes sur leur avenir. Le ras le bol est général ou presque. Alors si vous n’en pouvez plus de voir Flanby (Hollande) et notre actuel Nain de président, si vous ne supportez plus : Richard Millet qui, à la droite de Le Pen, ose dire : « il y a une douleur pour moi à me poser la question de savoir dans quel pays je suis (…) racialement » la perte du triple A, le succès d’Intouchables, l’insuccès du film de RAZ, le futur succès d’Infidèles, l’insuccès des films de Philippe Garrel, que Merkel et l’Allemagne toisent la France de plus en plus, qu’Emmanuel Todd devenu fou éructe son concept fallacieux d’eurofascisme sur le plateau de Ce soir ou jamais,  que le chômage augmente, qu’on n’ose plus parler de lutte des classes alors que, le succès d’Anne Wiazemsky, l’insuccès de Chloé Delaume, le succès de TF1, l’insuccès d’Arte, l’effondrement de la Grèce immense pays de culture devenu si petit, l’effondrement moral de l’Italie avec les bunga bunga parties de Berlusconi, immense pays devenu si petit, que  Marine Le Pen fasse un score comme jamais, que Michel Leeb continue à faire des spectacles, qu’on ne voie plus assez Nicolas Bedos à la télé, que l’émission Le Cercle littéraire animée par Frédéric Beigbeder ne passe qu’une fois tous les deux mois… bref, si vous n’en pouvez plus du monde qui vous entoure, alors voilà ce qu’il vous faut :

1er remède

Allez voir des comédies françaises. Pas toutes, bien sûr, beaucoup de déchets, d’inregardables. Mais l’équipe ciné de Transfuge est unanime ou presque : on a vécu more or less un âge d’or de la comédie française dans les années 2000. Gad Elmaleh, Éric et Ramzy, Kad Merad… et Dujardin aujourd’hui. Mais si l’âge d’or de la comédie américaine est bien réel, le cas français est plus compliqué. On a essayé de vous démêler le pourquoi du comment dans ce dossier. En tout cas, si vous vous sentez un peu fatigués, nous vous donnons une liste de films à rire, et comme vous le savez sans doute, le rire est bon pour le cerveau, et paraît-il, ferait vivre plus longtemps (en même temps, à quoi bon ?).

2e remède

Jonathan Ames, qui fait notre grand entretien ce mois-ci. Un recueil d’articles, Une double vie, c’est deux fois mieux (Joëlle Losfeld). Un déconneur de premier ordre, cet Ames. Trois romans à son actif, pas assez connus en France et pourtant excellents : Réveillez-vous, Monsieur (Joëlle Losfeld), Je vais comme la nuit (Ramsay), L’Homme de compagnie (Christian Bourgois). Philip Roth ne s’y est pas trompé en l’adoubant : sexe et drôlerie, humour juif façon Roth première période (Portnoy et son complexe), voilà le charme de l’univers d’Ames. Univers qu’on retrouve dans la série cultissime créée par ce monsieur, Bored To Death, qu’HBO vient de décider de ne pas reconduire. À l’interview, disons-le franchement, l’homme est apparu changé, plus fatigué, 48 ans, apocalyptique (nous vivons la fin du livre), honteux d’avoir pu écrire une nouvelle sur un clitoris… Il faudra une bonne fois pour toutes trancher sur l’idée que la vieillesse (c’est-à-dire le moment où l’idée de la mort − sa propre mort et la mort du monde  − devient plus importante que tout le reste) commence bien chez les trentenaires-quarantenaires. Bref, qu’on est déjà vieux à cet âge-là. (Souvenez-vous récemment Beigbeder, 45 ans,  son livre sur l’apocalypse, souvenez-vous Gary Shteyngart, 40 ans, obsédé par la mort du livre et de notre civilisation.) Des signes qui ne trompent pas, n’est-ce pas ? Un peu sinistré, Ames, mais lisez ses livres, c’est un mélange de Woody Allen, de Roth donc, et de Fitzgerald (il se sent proche du dandysme).   

3e remède

Allez voir de près l’anthologie de la poésie érotique, Éros émerveillé (Gallimard), éditée par Zéno Bianu, poète lui-même et grand connaisseur du genre. Découvrez par exemple les poètes qui tuèrent Dieu à coups de chair, à coups de sexe et de mots. XVIe siècle, François Maynard, début du libertinage : « Je veux foutre jusqu’au tombeau/sans m’affliger que l’on en gronde ;/Aussi mon corps, quoiqu’il soit beau/n’est pas outil pour l’autre monde. »

 Sade vient après, deux siècles plus tard, bien sûr, incontournable, portant l’érotisme à son plus haut niveau de littérature, et à son plus radical. Une vraie science se met en place chez Sade dont l’influence se fait sentir jusqu’aux poètes d’aujourd’hui, nous dit Bianu. Car une nouvelle génération de poètes voit le jour, tordant le coup à l’antienne majoritaire dans le monde littéraire du « tout est foutu ». Tout les grands sont là, à lire et relire, dans ces 585 pages, Antonin Artaud, George Bataille, Louis Aragon, Jean Lorrain, André Breton, Arthur Rimbaud, Lautréamont, Charles Baudelaire… Mais des inconnus du grand public aussi, avec un choix audacieux de poètes d’aujourd’hui : Bernard Noël, of course, le plus connu d’entre eux, Laure Cambau, Ariane Dreyfus qui nous donne une belle définition du sexe : « Sexe : coeur du corps de ceux qui aiment. À partir d’un certain âge. Égare la mort. » Et des autres à découvrir.

Ordonnance : un poème anti-sinitrose  tous les soirs, avant de se coucher, vous verrez ça va mieux.

En attendant bonnes lectures, bons visionnages, et gardez le moral.