De prime abord, ce premier film portugais, entre documentaire et fiction, fait penser à la série des Profils paysans de Raymond Depardon. Même cadre rural, même attention aux changements de saison, même façon de montrer différents labeurs enregistrés dans leur âpreté. Sans adjonction de voix off, un personnage se place à l’épicentre d’un monde ancestral, autour duquel s’agitent familles, amis et étrangers de passage. Ici, l’univers se limite aux rambardes de pierres brûlantes qui servent de contrefort au village montagneux d’Uz, au nord du Portugal, où vivaient jadis les grands-parents du réalisateur João Pedro Plácido. Son héros s’appelle Daniel, un adolescent mal dégrossi, l’air ahuri, qui d’ailleurs rêve sans trop savoir à quoi. Daniel trait en regardant les montagnes, accompagne son bétail et lorgne une jeune fille revenue pour l’été dans le village. Il en est amoureux depuis de longues années. Également née à Uz, la jeune femme s’en est échappée, partie faire ses études ailleurs, c’est-à-dire dans la ville la plus proche, un bourg que l’on aperçoit depuis les collines. Image sidérante qui donne lieu à la plus belle scène du film : Daniel et sa promise se parlent, évoquent tristement leur avenir respectif et, par conséquent, leur amour contrarié. Alors qu’on les voit assis sur une pierre, au sommet d’Uz, sous un soleil ocre déclinant, on aperçoit derrière eux les lumières de cette autre bourgade. Dix kilomètres tout au plus séparent les deux territoires et, pourtant, cette courte distance est un obstacle infranchissable pour leur amour. Elle les éloigne à jamais, scinde leur univers en deux et rend leur idylle impossible. La jeune fille a réussi à franchir les barrières d’Uz, à sortir de ce village hors du temps, où les vaches et les cochons sont plus nombreux que les habitants. Ces quelques kilomètres, c’est peu et c’est infranchissable. C’est cela qu’a réussi à capter, avec patience, en s’attachant à Daniel, le cinéaste portugais : l’ancrage profond d’un jeune homme d’aujourd’hui dans un monde situé à des années-lumière du nôtre. Au côté de ses parents, Daniel n’a plus à apprendre les traditions régionales de labour, de pâture et de traite. Rien de touristique, de pittoresque dans ces gestes. Aucune image d’Épinal. Daniel appartient à un autre monde, comme un extraterrestre ou un voyageur temporel. Il est le dernier descendant d’une civilisation en accord avec la nature ; un univers de légende qu’il ne parvient pas à quitter et qu’il ne veut d’ailleurs pas abandonner, lui sacrifiant même son grand amour. Éclairé par des soleils d’aube ou de crépuscule, hanté par les chants et les accents gutturaux des vieux, les couinements et les cris des bêtes, les éclairs surréalistes d’une fête foraine et d’un spectaculaire feu d’artifice, Volta à terra est un film ensorcelé. Une oeuvre fantomatique et panthéiste. Ce magnifique documentaire nous a été rapporté d’un autre espace-temps.
Profils vachers
Une dizaine de paysans portugais vivant au gré des saisons et coupés du monde. Un jeune berger amoureux. Voilà ce que filme magnifiquement João Pedro Plácido dans Volta à terra.